Sous-titré Born Into This, ce documentaire sur Bukowski aurait aussi pu s’intituler Vie et œuvre de Charles Bukowski. Sans formalisme et avec beaucoup de sincérité, le documentaire de John Dullaghan explore en effet aussi bien la vie artistique que personnelle du vieux Hank, par un assemblage jamais ennuyeux d’images d’archives, d’interviews de Bukowski, et de témoignages de ses proches, son éditeur John Martin et sa femme Linda Lee Bukowski en tête.
Ce documentaire a le grand mérite de ne pas revenir que sur les frasques de Bukowski. Celles-ci auraient pu alimenter un film entier, mais, dans son souci de réaliser un portrait aussi complet que possible de l’homme et écrivain que fut Bukowski, Dullaghan évoque également l’enfance et l’adolescence de Hank, ses premiers travaux, ses relations avec ses parents, tous les éléments susceptibles de mieux nous le faire connaître, sans à aucun moment tomber dans le pathos. Dullaghan résume ainsi son projet : « Et si on n’aime pas Bukowski à la fin du film, on comprend au moins d’où il vient, on comprend d’où il vient en tant qu’artiste. »
Après avoir vu le film, on se dit qu’effectivement, Bukowski était un artiste, sensible et torturé, et pas seulement un écrivain provocateur et vulgaire. Ses thèmes d’inspiration, son sens de la poésie, la manière dont il a bouleversé la littérature conformiste américaine, tout cela ressort des discours de ses proches et de ses admirateurs. Derrière une façade de facilité et de décontraction, on découvre alors un Bukowski exprimant ses craintes, ses espoirs, ou encore son trac juste avant une lecture publique, qu’il tentait de calmer avec quelques bouteilles.
Le documentaire accorde une grande place à son travail et à son statut d’écrivain. Les souvenirs de Bukowski de son métier de postier, exercé pendant près de quinze ans, sa démission puis sa demande de réintégration, de même que les anecdotes racontées par son éditeur John Martin, qui lui promit un jour un salaire mensuel à vie de 100 $ à condition qu’il quitte son travail et se consacre à l’écriture, sont parmi les passages les plus humains et les plus passionnants du documentaire. En bref, la redécouverte d’un artiste génial et de ses faces cachées.
Suppléments
Retour sur East Hollywood consiste en un retour sur les traces de Bukowski en Californie par son ami réalisateur Taylor Hackford. Ce dernier évoque, de manière assez intéressante, la relation qui unissait Hank à sa ville – Los Angeles – et à son quartier. C’est aussi ici qu’il a exercé son métier de postier, sur lequel Hackford raconte quelques anecdotes.
Les entretiens complémentaires ne sont autres que des scènes coupées qui n’ont pas été incluses dans le documentaire, et qui prolongent les interviews qui y figurent. Celle de John Martin, évoquant la sensibilité de Bukowski, et son utilisation de la boisson pour oublier le trac ou la souffrance humaine est particulièrement intéressante.
Bukowski en France constitue une introduction, par Linda Lee Bukowski, à la légendaire émission Apostrophes. La femme de l’écrivain raconte la fin de l’épisode, après la sortie du plateau, et surtout accuse la télévision française d’avoir fourni des bouteilles à son mari, ce qui n’était pas une chose à faire selon elle. La comparaison avec la version – opposée – de Bernard Pivot, à la fin de la dite émission, vaut le détour.
Ha, Bukowski sur le plateau d’Apostrophes, on ne s’en lasse pas ! Mais on la regarde surtout d’un autre œil après avoir vu le documentaire de Dullaghan. L’émission reste en effet dans les annales comme l’impolitesse suprême d’un écrivain ivre à la télévision, mais quand on sait que Bukowski renvoie bien plus que cette image de fauteur de troubles alcoolique, on s’amuse finalement de ce petit « incident », et on irait même jusqu’à se ranger à ses côtés, d’autant plus que les écrivains rassemblés autour de lui réservent eux aussi quelques bons moments.
Les poèmes lus sont malheureusement trop peu nombreux. Quant à Amber O’Neil, elle revient sur son aventure avec Bukowski, qu’elle a relatée dans une nouvelle, et que lui a reprise dans Women.
Les dernières images de Bukowski datent de 1992, soit deux ans avant sa mort, et ont été tournées par sa femme Linda, dans leur maison, entourés de leurs chats. Bukowski y fait des lectures de ses derniers travaux.
Les suppléments proposés sont donc dans leur ensemble intéressants, et complètent intelligemment le documentaire dans leur manière d’explorer toutes les facettes de l’homme et de l’artiste Bukowski.