Pendant sa relation amoureuse avec Simon, Vincent Dieutre a passé ses soirées et ses nuits dans l’appartement de son amant, à Jaurès. De la fenêtre, qui donne sur le Canal Saint-Martin et le métro aérien, le réalisateur a filmé la vie du quartier (ce « petit théâtre » qu’il observait avec son amant) et notamment le quotidien des réfugiés afghans qui campent sous le pont de la rue Lafayette. Face aux images, dans une salle de mixage, deux témoins (Eva Truffaut et Vincent Dieutre lui-même) observent et commentent le temps qui passe, éclairé par la relation amoureuse entre Vincent et Simon. Un étrange procédé voulant clairement rattacher l’intime au politique, in fine plus malin et vain que vraiment signifiant.
Alors qu’ils observent ces plans fixes sur Jaurès, filmés depuis la fenêtre de l’appartement de l’ancien amant du réalisateur, les deux témoins de ce documentaire sont dans une salle de mixage et enregistrent leurs commentaires et impressions sur ce qu’ils voient – Vincent faisant à Eva le récit de sa relation amoureuse. La voix off que nous entendons sur des images tournées avant que soit né le désir de faire un film de cette histoire, c’est le récit de Vincent sur cette période de sa vie, celle où il a rencontré Simon, commencé à partager son quotidien, et filmé ces images. C’est l’hiver 2009 – 2010 et, sur les bords du canal Saint-Martin, un groupe de réfugiés afghans s’est installé – groupe que V. Dieutre filme et observe aussi. À cette fin, créée rétrospectivement, d’établir un pont entre sa situation et la leur, avec Jaurès pour cadre. Ainsi, le voilà : amant retranché dans la part secrète de la vie de son compagnon, qu’il quitte au matin pour le retrouver chaque soir ; en même temps que les Afghans désertent les berges du canal pour revenir à leur campement à la tombée de la nuit.
Le récit de cette histoire d’amour, vraisemblablement unique pour lui, fait naître l’habile narration de V. Dieutre. Avec quelques images grisâtres et un peu tristes, le réalisateur parvient à raconter l’intensité d’une rencontre et, en creux, la douleur de sa clandestinité. Jusqu’au jour où, sans crier gare, il n’a plus revu son amant, il a été le secret de sa vie. Il y a quelque chose de la démonstration de force dans cette capacité à dire au cinéma, par le texte uniquement – la réécriture, le commentaire – ce qui s’est joué dans le hors-champ des images.
L’erreur est sans doute de vouloir noyer le récit personnel sous un geste politique. Dans le théâtre où se joue cet amour (le quartier parisien de Jaurès dont l’ambiguïté sociale, entre classes populaires et public bobo, est à peine évoquée), la situation des Afghans qui se retrouvent chaque soir, chaque nuit, chaque matin sous les fenêtres de Simon et la caméra de Vincent, offrent un contre-champ à l’espace amoureux qui se veut tout aussi précaire et sur lequel la caméra ne se retourne jamais. Si la voix de Dieutre partage avec une certaine vivacité le désarroi de l’amant caché puis laissé pour compte, il y a une pauvreté évidente dans le choix d’incarner cette clandestinité théorique, en images, dans son versant politique et concret. Peut-être même quelque chose d’inapproprié à ne pas tout à fait assumer le caractère personnel de cette histoire, à le dissoudre dans une re-création qui s’achève avec un communiqué d’Éric Besson sur le démantèlement des campements à la fin juillet 2010. En tout cas, le sentiment d’une pesante vanité.