Le cru 2009 de la collection RKO des Editions Montparnasse est définitivement nostalgique : après l’adieu à Fred et Ginger dans La Grande Farandole, voici La Pêche au trésor, dernier des films tournés par la bande de joyeux drilles qui révolutionna le burlesque américain, j’ai nommé les Marx Brothers, Groucho, Harpo et Chico. Le film date de 1949, et les Marx ont pris des rides ; tous ont alors soixante ans bien sonnés ; il est temps pour eux de tirer leur révérence. La Pêche au trésor est un film mal-aimé (Groucho Marx ne le cite même pas dans son autobiographie); dommage, car il recèle quelques perles dont seuls les Marx avaient le secret.
Que reste-t-il aujourd’hui de La Pêche au trésor ? Une image, celle de Groucho, observant de la tête aux pieds une magnifique blonde dans une robe de soirée largement décolletée, qui lui demande de l’aide car « elle est suivie par des hommes ». Réponse de Groucho : « Vraiment ? Je ne vois vraiment pas pourquoi ! » Sortie de la blonde ; la scène n’a pas duré plus de 15 secondes, n’a pas fait avancer d’un iota l’histoire (son efficacité narrative comme burlesque reste encore à prouver), mais la jeune femme s’appelle Marilyn Monroe et n’a pas encore coupé ses cheveux court pour envoûter le monde entier. Si Marilyn n’est que vingtième au générique original du film, elle en fait aujourd’hui rétrospectivement la publicité ; son nom est cité directement après celui des Marx, effaçant Vera-Ellen, alors vraie vedette et splendide danseuse qui connut également son heure de gloire (au bras de Fred Astaire et de Gene Kelly), mais qui n’eut pas, malheureusement pour elle, la postérité de miss Monroe.
À l’origine, La Pêche au trésor devait mettre en scène le seul Harpo, le Marx muet mais pas moins bavard pour autant. Le studio United Artists qui produisait réclama la présence des deux frères, Chico le galant au faux accent italien et Groucho le grognon, roi de la satire absurde. L’un, Chico, accepta un rôle assez conséquent ; Groucho, lui, ne fit qu’une apparition pour la forme, en narrateur du film et détective vaguement véreux. Comme toujours, l’histoire est délicieusement invraisemblable, le trio étant embarqué dans une sombre affaire de vol de bijoux et poursuivi par une comtesse au fort accent russe et ses sbires à l’air plutôt méchant. Les bijoux cachés dans une boîte de sardines se retrouvent par hasard en possession d’une troupe de théâtre fauchée, prétexte ainsi à quelques scènes très réussies de comédie musicale pour faire briller les belles jambes de Vera-Ellen.
Si La Pêche au trésor manque du rythme endiablé des précédentes productions des frères (comme La Soupe au canard ou Animal Crackers), l’esprit Marx Brothers est toujours là, et notamment leur incroyable capacité à laisser de côté le récit pour faire entendre leurs autres et prodigieux talents : voir ainsi la magnifique scène où Harpo déclare son amour à la jeune danseuse par harpe interposée ; ou l’incroyable variation tsigane digne des plus grands virtuoses entre un vilain producteur violoniste et Chico au piano. C’est Harpo, donc, qui mène la danse, et La Pêche au trésor est un florilège de ses inventions les plus loufoques, entre le manteau de vagabond plus vaste encore que le sac de Mary Poppins (un chien, des jambes de mannequin et un énorme morceau de glace y trouvent largement leur place) et ses remèdes plus qu’audacieux à son mutisme, comme la télépathie par téléphone… Dès lors, l’absence de Groucho est à peine ressentie, quoique certaines de ses saillies n’eussent pas été de trop.
En version originale, La Pêche au trésor avait hérité d’un titre à la fois banal et complètement décalé : Love Happy. De l’amour, du bonheur, que demander de plus…