Après Jeannot l’intrépide et Aladin et la lampe merveilleuse, Carlotta poursuit son exploration de l’œuvre de Jean Image. La saga du baron de Münchausen (deux films, sortis de 1979 à 1983, et avant-dernière réalisation du metteur en scène) offre l’occasion de constater que le style de son auteur s’est véritablement inscrit dans son temps.
Pourtant, il y a une réelle parenté entre le baron et Jeannot l’intrépide, le héros iconique des débuts de Jean Image, en 1950 : les mêmes burlesque débridé, action échevelée et dynamisme bondissant sont au rendez-vous dans les deux films, à trente ans d’intervalle. Les animaux parlant, les métamorphoses des personnages : tous les thèmes chers à Jean Image, mais sur lesquels il n’aura jamais pu concurrencer les studios Walt Disney. Au fil du temps, Jean Image et son studio sont donc parvenus à conserver leur spécificité : ce foisonnement, cette hystérie visuelle déjà présente dans Jeannot, qui semble n’avoir pas pris une ride dans les aventures du baron de Münchausen.
Ce qui change, en revanche, c’est que ces aventures sont l’occasion de situer l’œuvre du cinéaste de façon tangible dans la chronologie du cinéma. Si Jeannot l’intrépide était remarquablement original, Münchausen est ancré dans le temps. D’une part, c’est un film qui fait appel à l’univers de Georges Méliès, surtout dans la seconde partie/suite du film, décidément bien à la mode en cette fin d’année 2011. Il fait également référence à une véritable tradition littéraire et cinématographique : le personnage du baron de Münchausen a eu plusieurs vies littéraires (notamment sous le pseudonyme parodique de baron de Crac), et plusieurs vies cinématographiques – on se souvient notamment de la version réalisée par Terry Gilliam, dont les liens de parenté avec l’univers foisonnant de Jean Image se révèlent à la vision du Secret des sélénites.
Ce Secret des sélénites, présenté en bonus unique mais de taille par Carlotta, constitue la seconde partie des aventures du baron. Là où le premier film équivaut véritablement à une application soigneuse du style de Jean Image, identifié dans Jeannot et Aladin, Le Secret fait figure de révolution. Cas rare, c’est en effet un film de cinéma conçu narrativement pour être débité en tronçons, et diffusé en tant que série à la télévision. Les choix musicaux reflètent également un véritable changement : là où le premier film partageait la gouaille langagière de Jeannot l’intrépide, sur une musique de Michel Legrand, Le Secret des sélénites est rythmé par un unique thème musical, entêtant, qui s’apparente plus volontiers aux génériques des séries animées de l’époque qu’à une véritable musique de film. Encore une fois dans l’air du temps, Jean Image met son cinéma à l’heure de la science-fiction, renvoyant autant aux Maîtres du temps sortis l’année d’avant (via ses insectes géants, autant un legs de Jeannot qu’une réminiscence des cauchemardesques créatures du film de René Laloux) qu’au phénomène de l’animation jeunesse depuis 1978 : Goldorak.
C’est un peu comme si Jean Image était sorti de l’enfance, faisant une entrée fracassante dans des années 1980 vues comme une adolescence tout à coup bien plus remuante. Pour convaincante que soit cette progression, cela n’empêche pas de ressentir une certaine amertume. Ainsi, la séquence finale voit le baron de Münchausen et son cousin, vieux scientifique qui lui a financé son voyage dans la lune, danser au son d’une version électrique du thème déjà mentionnée, diffusée… à la télévision. Ces contorsions enthousiastes et chaotiques, dans l’univers de Jean Image, ne choquaient pas un instant. Face à ce furieux « clip » – le terme est historiquement daté de 1981 –, les images de Jean accusent tout à coup leur âge, devenues en seulement quelques années un reliquat du passé.