Comment réussir (ou presque) à Hollywood : le titre français du guide rédigé par Edward Wood Jr n’a pas l’intention de véhiculer la même impression que le titre original, Hollywood Rat Race. Chronique d’un fou de cinéma pas suffisamment idiot pour se faire des idées, le livre arrive alors que la carrière de son auteur décline : l’amertume perceptible dans le titre original pénètre l’intégralité du guide, sorte d’ouvrage de référence pour qui recherche le point de vue d’un des milliers de rouages anonymes qui font fonctionner Tinsel Town.
C’est en 1978 que les auteurs Michael et Harry Medved publient leur ouvrage, Les Cinquante Plus Mauvais Films de tous les temps. Ni le premier, ni le dernier des ouvrages destinés à récompenser ironiquement les artistes les moins méritants, ce livre-ci a la particularité d’avoir collé à Ed Wood son étiquette de « plus mauvais cinéaste de tous les temps », pour sa maîtresse-œuvre, Plan 9 from Outer Space. La formule plaît, et elle survit à son livre d’origine, qui peut être le plus mauvais livre de cinéma de tous les temps – qui sait ? En 1994, Tim Burton livre, avec Ed Wood, un de ses films les plus personnels, et ce qui apparaît comme une tentative, non pas de réhabiliter de façon primaire le cinéaste, mais de montrer combien la passion du cinéma vivait en lui. Vingt ans plus tard, l’aura kitsch et ridicule demeure seule, et ce guide à l’intention des inconscients désirant réussir à Hollywood se voit publié un sourire en coin.
Et pourtant, la passion demeure. À lire les conseils proposés par Wood, on se surprend à débusquer, plus d’une fois, les marottes décalées mises au jour par Tim Burton dans son film, très bien documenté – pour les pulls angora particulièrement. En creux, l’artiste nous donne à lire tout ce dont il a rêvé, tout ce à quoi il a renoncé. Renoncé, vraiment ? Pas tant que ça. Maladroitement, lourdement, Wood n’hésite pas une seconde à faire sa propre pub, à vanter ses réalisations, avec un lyrisme aveugle teinté d’une dose colossale de mauvaise foi. Car, qu’on se le dise : réalisés avec une ardeur peu commune, une foi inébranlable dans la nécessité de filmer, les films d’Ed Wood n’en demeurent pas moins mauvais – pourtant, le feu qui les anime ne diffère pas vraiment de celui qui habite d’autres grands réalisateurs, plus talentueux.
À l’intention des jeunes gens désireux de réussir à Hollywood, Ed Wood va donc leur raconter, par le menu, par quelles épreuves et désillusions ils devront passer. Le chemin est balisé, si l’on en croit l’auteur, et il faudra un mélange savant de chance, de travail acharné, et éventuellement de népotisme (dont l’importance est soulignée, en creux, par les écrits de Wood) pour percer un tant soit peu. Pour les autres, la multitude : la ruine et les rêves brisés. Difficile de ne pas percevoir dans ces lignes la rancœur de Wood lui-même quant à son manque de succès : en tout cas, la reconstitution du monde hollywoodien des années 1950 est saisissante, et passionnante.
Ed Wood a‑t-il donc seulement écrit un livre cathartique, entre auto-satisfaction publicitaire et cynisme fatigué ? Pas seulement. Au détour de quelques pages, Ed Wood va évoquer ses amis professionnels du milieu cinématographique : tous sont morts, oubliés, déchus. Comme il prend le temps de faire sa propre pub, Wood se donne le droit de les évoquer longuement, avec une nostalgie touchante.
L’histoire, dit-on, est écrite par les vainqueurs : lire la prose d’un perdant, laissé à la marge de l’industrie hollywoodienne, est pourtant tout aussi passionnant. À son insu probablement, Ed Wood offre avec sa Rat Race l’opportunité de contempler un visage d’Hollywood inédit, à la valeur historique indéniable. Si le style est très plat, le livre n’en demeure pas moins une lecture saisissante, même si pas aussi second degré que le titre français ne le laisse supposer.