Du Petit Gibus à Zazie, le cinéma français a offert de beaux rôles aux enfants, propulsant soudain de jeunes comédiens sous les projecteurs. Si certains n’ont jamais coupé les ponts avec la profession, d’autres ont rapidement changé de cap. Soucieux de connaître leur destin, François-Guillaume Lorrain a mené l’enquête et retrace leurs parcours au fil d’une vingtaine de portraits, tantôt instructifs, tantôt anecdotiques.
Armé d’un bottin et d’un téléphone, François-Guillaume Lorrain traque obstinément les fantômes. Hanté par le passage des ans et le souvenir ému de visages juvéniles figés sur grand écran, il cherche à retrouver leur trace dans le présent : « Tandis que nous vieillissons, ces petits êtres de pellicule restent à jamais des enfants, préservés du temps et de ses outrages. Mais si l’on revoit un de ces classiques, on ne peut s’empêcher d’imaginer la suite, leur seconde vie, quand il leur a fallu grandir, muer, prendre du ventre, perdre cette grâce de la première fois… » écrit-il en introduction.
Que sont nos héros devenus ? Une question prompte à satisfaire la curiosité des cinéphiles, mais qui flirte dangereusement avec la nostalgie, voire le sujet pour émission de société. L’ouvrage n’échappe pas complètement à ces travers et suit les trajectoires personnelles d’ex-acteurs en herbe, leur persévérance dans le milieu ou leur reconversion. Ainsi nous apprendrons que le Petit Gibus de La Guerre des boutons (Martin Lartigue) est devenu peintre, l’insolente Zazie (Catherine Demongeot) professeur, ou encore l’Enfant sauvage (Jean-Pierre Cargol) musicien de flamenco. Une vie plus anonyme après une célébrité éphémère. Certains racontent spontanément leur expérience, d’autres ont disparu sans laisser d’adresse (Patrick Auffay, l’ami de Jean-Pierre Léaud dans Les Quatre Cents Coups, la Mouchette de Bresson…). Également romancier, François-Guillaume Lorrain prend un plaisir certain à brosser ces histoires, à décrire ces existences mouvementées, à remonter le passé afin de confronter les adultes à leurs premières amours. Puisque la mémoire est par nature friable, il n’hésite pas à croiser les témoignages, interrogeant réalisateurs, techniciens et assistants pour obtenir une vision plus juste des tournages.
Pour limiter son champ d’investigation, l’auteur se concentre sur le cinéma populaire hexagonal – à l’exception notable d’une rencontre avec Michael Chaplin, qui évoque sa contribution pour Un roi à New York et rappelle une nouvelle fois la face sombre de Charlot, clown génial mais terrible pater familias. Les différents articles respectent un ordre chronologique, et de l’incontournable Jeux interdits (1952) au douloureux Au revoir les enfants (1987) se dessinent en creux de fortes mutations. Longtemps cantonnés au rang de faire-valoir, les enfants ont peu à peu gagné leurs galons, jusqu’à occuper le devant de la scène au tournant des années 1980, où ils connaissent un succès fou (Diabolo menthe, La Boum, L’Effrontée…). Cette explosion s’accompagne d’un changement de leur statut sur les plateaux : en 1964 une circulaire encadre leur travail et impose que leurs revenus soient bloqués sur un compte jusqu’à leur majorité. Par ailleurs les méthodes de casting évoluent, comme le souligne Dominique Besnehard dans une interview : « Aujourd’hui, tourner avec les gosses est entré dans les mœurs. Vous les arrêtez dans la rue, parfois, ils s’en fichent de faire du cinéma. La magie a disparu. Ils sont plus facilement bons, car ils voient bien plus de films. À l’époque, c’était toute une aventure. » Les futures pépites étaient auparavant repérées dans les centres aérés et colonies, ou à l’École des Enfants du spectacle, rue du Cardinal-Lemoine, qui constituait un important vivier. Dénicher la perle rare tenait parfois de l’équipée sauvage : Jean-François Stévenin narre ainsi sa virée aux Saintes-Maries-de-la-Mer pour recruter l’Enfant sauvage parmi dix mille gitans.
Facile d’accès, chargé d’anecdotes, Les Enfants du cinéma présente un intérêt variable selon les chapitres, de longueur inégale. Il peine surtout à imposer une vue d’ensemble, faute de lien entre les reportages. Dommage enfin que certains points ne soient abordés qu’en surface, notamment celui du jeu et du talent précoce. Comment les enfants se glissaient-ils dans leurs rôles ? Dans quelle mesure étaient-ils dirigés par les cinéastes ? Et quelle place tenaient leur physique et leur personnalité dans la construction de leurs personnages ? De trop courts passages sondent cet aspect, et François-Guillaume Lorrain creuse d’abord la dimension psychologique (rapports avec l’équipe, contrecoup de la gloire, difficulté à rebondir après un film…). Si beaucoup ont tourné la page et considèrent avec tendresse leurs anciens exploits, d’autres ont traversé cette période de manière plus délicate, comme Alain Emery, terrorisé sur Crin-Blanc par Albert Lamorisse et « l’œil noir de la caméra », ou Ariel Besse, au centre d’un scandale à cause de l’affiche de Beau-Père. Après un coup d’éclat initial, certains ont multiplié les apparitions, avant que le cinéma les abandonne, toujours en quête de chair fraîche. Aux pensionnaires d’Au revoir les enfants, Jean-Louis Trintignant aurait tenu ce discours : « Faites attention les gars, si vous voulez faire du cinéma, c’est maintenant que tout se joue, cela peut valoir le coup, mais il ne faut pas laisser passer le train. » Le cinéma n’a jamais été tendre avec ses enfants : pour s’en convaincre, il suffit de revoir Bellissima de Luchino Visconti (1951) qui en offrait déjà un aperçu tragique.