Le nouvel ouvrage de Régis Dubois, coincé entre l’histoire de l’art et la sociologie politico-culturelle, a le mérite de vouloir livrer la nature sociale des représentations, ainsi que les circulations médiatiques et disciplinaires auxquelles les images cinématographiques participent. Mais on peut déplorer, dans la foule d’analyses diverses et parfois fort intéressantes, la présence d’amalgames et de contradictions qui appauvrissent quelque peu le propos.
Dès l’avant-propos, Régis Dubois présente ses diverses problématiques : martelant sa filiation aux Cultural Studies – dont il déplore, un peu rapidement, le peu d’échos dans la critique et les parutions universitaires, l’auteur les définit comme le « déplacement du discours hégémonique vers les marges » célébrant « la richesse des cultures dominées, autrement dit la culture de masse ». Soit. Mais comment peut-on éclaircir cette fameuse « culture de masse » au cinéma ? Par le nombre d’entrées des films ? Leurs reprises dans d’autres médias, leur réception ? La réponse n’est pas très claire, d’autant que l’on serait tenté de soulever le paradoxe d’une culture de masse minoritaire ou dominée. L’une des démarches les plus intéressantes de Dubois est celle qui consiste à s’attarder sur deux points : tout d’abord, sur le public, trop souvent considéré, à l’instar des clochers sonnant Bourdieu ou Ramonet, comme une masse passive devant l’image et manipulée par celle-ci. Il est simplement divers, et reste ici un personnage de la circulation filmique à part entière. En outre, la mise au jour d’une radicale différence entre réception publique et réception critique – dont on peut cependant déplorer l’opacité du choix des sources, amorce un début de réflexion, rare, sur le fossé des discours médiatiques.
Régis Dubois part du principe que tout est idéologie. Si l’on peut sourire devant quelques saillies anti-bourgeoises d’une rapidité redoutable – la critique, par exemple, méprise Camping, parce qu’elle défend son « goût bourgeois » – on voit d’ores et déjà le problème que pose cette vision très marquée (et peu argumentée) d’un public populaire dominé mais actif et prolifique face à un public bourgeois prisonnier de son sentiment de supériorité. En cela, l’absence de grille de lecture ferme des films, mais également l’oubli, dans l’analyse de ces derniers, des rapports de force, notamment économiques, auxquels une production doit faire face, met en lumière le rapport très personnel, voire biaisé, de l’auteur à son objet. L’anti-intellectualisme pointe d’ailleurs souvent le bout de son nez, montrant finalement que le mépris est partagé par toutes les classes. Dubois est clairement spécialiste de quelques thèmes : le phénomène de Blaxploitation, les films de super-héros et la classe ouvrière dans le cinéma américain sont bien traités, notamment quand il s’agit de décrire les redondances sociales et leur impact sur les surreprésentations d’une catégorie ou, justement, d’une minorité. En revanche, la diversité des tons, parfois analytiques et précis, mais se rapprochant tantôt de la saillie marxiste, laisse un goût d’inachevé.
L’ouvrage regroupe, certes, différentes chroniques écrites de 1999 à 2011, ce qui appuie nécessairement le sentiment du méli-mélo. Mais si certains dossiers semblent complets, fluides et fouillés, le tiers de Revoir les films populaires est consacré à des notices que l’on croirait tout droit sorties du site Wikipédia. Michael Moore doit être défendu parce qu’il est anti-Bush et a l’honnêteté de le dire. Point. Sunset Boulevard a droit à seize lignes, quand Singin’ in the Rain, paré de ses neuf lignes, est qualifié de « chef d’œuvre intemporel ». Point. Les soixante dernières pages ne présentent donc ni réelle utilité dans la définition de ce « cinéma populaire », ni réel intérêt dans l’analyse de films parfois méconnus mais balayés d’un revers de manche. Régis Dubois a donc le mérite de soulever quelques lièvres, celui des réceptions et des publics, celui des déterminismes sociaux dans la lecture des films, celui des normes cinématographiques. Mais il reste trop en surface pour faire de ses problématiques un socle d’investigation et d’interprétation solide.