Finie l’époque des prix Nobel de la paix diplomatiques, scientifiques ou symboliques : après René Cassin, Martin Luther King, Mikhaïl Gorbatchev et Nelson Mandela, l’année 2007 nous a offert un nouveau type de prix Nobel, le personnage de reportage à sensations, Al Gore.
Non que nous soyons inconscients de la réelle implication de l’ancien candidat à l’élection présidentielle américaine dans la lutte contre le réchauffement climatique : mais on peut évidemment ironiser sur un tel prix, donné à l’orateur « sensible » – rappelons qu’il aime la campagne parce qu’il avait un poney étant enfant, fait passionnant que l’on apprend dans le film de Davis Guggenheim, Une vérité qui dérange, qui a obtenu en 2006 l’oscar du meilleur documentaire et celui de la meilleure chanson originale (sic). Rappelons également que le film, plébiscité par toute une partie de la presse comme une sorte de brûlot politique, a été décrypté par le GIEC (Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat), qui y a décelé un certain nombre d’erreurs. Seulement voilà, ce que l’on dit ne compte plus tellement aujourd’hui du moment que l’on dénonce. Ou que l’on prend la pose de la dénonciation, et, si possible, qu’on la filme pour en faire une œuvre mi-documentaire mi-fictionnelle.
Il serait cependant criminel d’oublier qu’Al Gore doit partager son prix Nobel avec le GIEC justement, présidé par l’Indien Rajendra Pachauri. Le problème reste entier lorsque l’on feuillette la presse qui développe la distribution du prix et lorsque, de toute évidence, la forme réussit définitivement à évincer la cause. Ainsi, bien loin de lancer une campagne internationale pour la défense de l’écologie, tout le monde se demande si Al Gore se présentera ou non à la future élection présidentielle. D’où le danger, à l’image comme ailleurs, de privilégier le mode de dénonciation à la cause elle-même. Nous sommes ainsi en droit de poser la question suivante : si le film de Davis Guggenheim n’avait pas emporté un tel succès, si Al Gore n’en avait pas été le centre, le maître, -osons le mot- l’acteur, le prix Nobel 2007 aurait-il été le même ? Alors que chaque année la plupart du public découvre l’existence de physiciens, de chimistes et parfois d’écrivains au travers du Nobel, le Nobel de la paix 2007 couronne, plus qu’une bataille, une vaste campagne publicitaire pour son sujet, Al Gore, co-président de la chaîne de télévision Current, membre du comité de direction d’Apple, et conseiller du moteur de recherche Google.
L’image serait-elle devenue plus importante, plus reconnue comme système de réflexion et moyen de combat ou de pression que les recherches, les actes (autres que des centaines de conférences, certes, de sensibilisation, qui sont autant d’occasion pour Al Gore de développer son show), les avancées diplomatiques ? Il ne sert à rien de se désespérer de l’omnipotence de l’image, elle existe. L’analyse qui consisterait à diaboliser toute tentative de démonstration visuelle est caduque de facto. Le prix Nobel a donc une fois encore élargi son champ d’action au-delà de la prévention ou de la récompense des résolutions de conflits. Aujourd’hui, le prix prend la forme d’un avertissement à la communauté internationale. En fond mental, toujours, l’excuse du « même avec une méthode cinématographique plus ou moins supportable, il a le mérite de parler du problème climatique »… pour avertir, pour informer, pour analyser, la recherche et la science ne payent plus. Il faut un oscar, un personnage télégénique et une belle musique, bref, dramatiser la réalité pour la dévoiler, la retranscrire pour la dénoncer. Le succès des films de Michael Moore, si l’on exclut l’odieux Sicko, plantade française de l’année, est un des témoignages de cette prise de « parole » de l’image et des constructions visuelles face aux penseurs.
Au-delà du discours assez méprisant (et méprisable) qui consiste à prendre la bêtise et la crédulité du public comme point de départ, forçant les hommes de politique et de science à faire du spectacle, on constate que la politique baptise sans cesse davantage l’image comme son gagne-pain mais aussi son dernier recours. Le GIEC est passé à la trappe dans l’histoire. Il est bien trop tôt pour savoir si, en terme d’action politique, ce prix Nobel aura une réelle influence sur les pays refusant de signer les protocoles de Kyoto par exemple, ou restera la consécration d’un homme, de son tour du globe, et d’une pédagogie à la petite semaine qui préfère le montage romanesque à l’explication. Une dernière question nous brûle les lèvres : à quand Michael Moore prix Nobel d’économie ?