Jeune productrice de trente ans, Christie Molia a fondé il y a quatre ans sa maison de production, TSVP Production (Tournez S’il Vous Plaît), aujourd’hui agence de presse reconnue par l’État. Lauréate de la Bourse Lagardère, elle vient de créer une seconde société, MSVP (Moteur S’il Vous Plaît), maison de production de longs métrages. Après avoir produit plusieurs courts métrages (dont Transit de Bani Khoshnoudi qui a reçu le Grand Prix du Jury au Festival Premiers Plans d’Angers, et On prend pas la mer quand on la connaît pas d’Anna Novion), cette passionnée de fiction travaille, en coproduction avec la Suède, sur le projet de long métrage d’Anna Novion, Les Vikings savaient mourir.
Comment en es-tu arrivée à produire des films ?
J’ai un parcours plutôt atypique car je n’ai de formation ni en production ni en commerce. Après un BTS audiovisuel, je suis entrée à la Femis en département scripte. J’ai énormément appris parce que c’est un métier de l’ombre qui exige une expérience du terrain et pendant les tournages tu es le point névralgique de toute l’équipe ; tu récupères les infos, tu les re-dispatches. J’ai également obtenu une Maîtrise en Art et Technologie de l’Image à Paris VIII qui portait sur les effets spéciaux. Parallèlement, j’ai travaillé sur un court métrage, Le Temps des cerises, l’adaptation d’une nouvelle écrite par mon frère. C’était un film avec des effets spéciaux que j’appelle invisibles : c’est-à-dire, ceux qui servent un scénario et non pas le contraire.
Quels sont les cinéastes qui t’ont marquée ? Quel film(s) aurais-tu souhaité produire ?
Je suis évidemment de la génération de Star Wars. J’ai passé mon enfance à Bayonne et il y avait peu de cinémas d’art et essai. Mais des films comme E.T., les œuvres de Chaplin, je les ai vus et revus. J’adore le cinéma d’animation. Je peux aussi très bien aller voir un film de Béla Tarr comme le dernier Star Wars. Aki Kaurismäki, Terry Gilliam ont des univers qui me fascinent, j’apprécie certains films chinois, le cinéma iranien et… les films de Meg Ryan ! Lost in Translation est certainement un film que j’aurais aimé produire, c’est une œuvre proche de celle d’Anna (Novion) par sa thématique. Actuellement, il y a peu de cinéastes français que je souhaiterais produire mais deux quand même : j’aimerais un jour découvrir des personnalités comme Jacques Audiard et Pierre Salvadori.
Comment orientes-tu tes choix en matière de production ?
J’ai monté TSVP à vingt-six ans. Avec l’aide de ma sœur qui est journaliste, on a commencé par produire des documentaires, des reportages pour la télévision (pour Des racines et des ailes sur France 3 et Zone Interdite sur M6). Je voulais passer rapidement à la fiction, car c’est ce qui m’intéresse au fond. Les films de fiction que je décide de produire sont de vrais coups de cœur, ce sont des films que je défends. Pour moi, il y a deux types de courts métrages : les courts que j’appelle « commerciaux », ce sont des films à chute, de réalisateurs virtuoses qui feront sans doute très bien de la pub ou du clip, et puis des courts plus longs, de vingt parfois trente minutes avec des personnages, des dialogues, qui offrent un regard singulier, une atmosphère. Je cherche avant tout à produire ce dernier type de court métrage sans pour autant exclure les films de la première catégorie. Pour te donner un exemple, j’ai été invitée dernièrement au Festival de Bourges comme marraine de deux scénaristes en herbe. Une des deux scénaristes, Emma Perret, a obtenu le Prix Européen pour son scénario Tout est bon dans le cochon : c’est un scénario court, à chute, que je vais tenter de produire.
As-tu déjà travaillé sur des films que tu n’as finalement pas pu produire par manque de moyens financiers ?
Si je n’arrive pas à produire un film qui me tient à cœur, je conseille au réalisateur de se rendre chez un autre producteur parce que je veux que ce film se fasse. Ça nous est arrivé avec un documentaire sur la Transnistrie, l’une des dernières dictatures en Europe au sein de la Moldavie. Un vrai concentré de Tchétchénie. Le film a été repris par Capa, une grosse société. J’avais commencé les repérages, mais financièrement je ne pouvais plus suivre. J’ai pris tous les risques que j’ai pu sur ce film, à présent il ne m’appartient plus. Et j’ai hâte de le voir maintenant. Je sais que cela m’arrivera en fiction aussi, parce que produire un long métrage n’est pas une chose facile.
Qu’est-ce qui t’interpelle dans un scénario, dans le projet d’un jeune réalisateur? Comment se déroule le travail de collaboration entre les différents acteurs de la création?
Je reçois beaucoup de scénarios par la poste. Il y a deux ans, j’en ai reçu près de trois cents. Parmi ces trois cents scénarios, je suis tombée sur celui de Bani. Son parcours d’Iranienne, d’Américaine (Bani a vécu aux États-Unis) m’a interpellée et j’ai pris le temps de la rencontrer. Même si au départ son scénario ne me plaisait pas du tout. J’ai tenté le coup et on a fait ensemble plusieurs séances de travail sur ce scénario. Tout est une question d’échanges, de dialogues, de caractères, d’atomes crochus. J’ai envie d’un scénario où la réalité de la caméra est omniprésente, qui n’est donc pas du théâtre filmé, où je voyage, où j’apprends des choses. C’est une rencontre avec un réalisateur, avec un univers. En lisant, je me demande souvent : qu’est-ce que ce cinéaste va m’apprendre sur le monde contemporain ? C’est très important. Un scénario c’est un tout. Enfin, quand le scénario est abouti, c’est-à-dire quand il plaît au réalisateur et à moi-même, je rentre en recherche de financements.
Justement, parle-nous un peu de ces modes de financements en France…
La recherche de financements est difficile aujourd’hui et elle est en train de se durcir. Les producteurs français sont des producteurs de dossiers car nous sommes sans arrêt en train d’attendre les décisions des commissions ! Il y a très peu de possibilités et je vois deux principales sources de financements, mis à part les concours de scénarios ou les ateliers d’écriture qu’il ne faut pas sous-estimer parce qu’ils apportent un regard neuf: Le Centre National de Cinématographie et les régions. Tu peux également obtenir un préachat auprès d’une chaîne de télé, chose que je n’ai jamais faite. Il existe aussi une aide « programme à l’entreprise » mais qui est difficile à obtenir parce qu’il faut avoir produit et exploité cinq films en trois ans. C’est un système qui avantage plutôt les grosses sociétés. Le CNC propose aussi un Prix à la qualité qui permet de financer des courts métrages après réalisation, sur commission. Le problème majeur de ce système, c’est que le financement accordé par la région dépend souvent de la décision du CNC : en général les régions n’investissent pas dans un film si celui-ci n’est pas soutenu par le CNC. Car le soutien financier d’une région est souvent insuffisant face au budget global d’un projet. Ils ne veulent pas prendre de risque, sachant que le film, par manque de moyens, ne se fera peut-être pas. Donc pour avoir le soutien d’une région, il faut d’abord être soutenu par le CNC. Et ce dernier va faire passer une loi le 1er juillet, qui d’après moi n’est pas une solution : baisser le nombre de films aidés tout en augmentant l’aide allouée par film. La création va forcément en pâtir.
Dans une précédente interview, tu faisais allusion à un « cinéma engagé ». Qu’entends-tu par là et qu’est-ce que cela signifie pour toi ? Peux-tu nous donner des exemples de films contemporains que tu qualifierais d’engagés ?
Je produis les œuvres de réalisateurs qui ont des univers très différents. Je ne veux surtout pas les mettre en compétition. Transit est par exemple, pour moi, clairement un cinéma engagé. Cette histoire me touche car c’est, selon moi, un avant Sangatte. Il y a eu un nombre de films impressionnants sur Sangatte à la télévision. Comment ces gens, ces réfugiés arrivent-ils à Sangatte ? C’est un sujet sensible parce que souterrain. C’est aussi le rôle du cinéma aujourd’hui de dénoncer certaines situations. Le sujet même de Transit était impossible à traiter dans le cadre d’un documentaire, c’est pourquoi le film a été conçu comme une fiction. Un film engagé ? C’est un film qui ose parler de la société de manière très crue, qui ose montrer la société telle qu’elle est. Le Cercle de Jafar Panahi tourné clandestinement en Iran en est un exemple. Dans un genre différent, certains films de Stephen Frears aussi. Maintenant est-ce qu’on peut qualifier un film comme L’Esquive d’engagé ? Je ne sais pas. En tout cas, c’est un vrai coup de producteur ! Sûrement une galère au départ, un film intéressant à produire.
Quels sont tes projets, les films en préparation ?
J’ai beaucoup de projets… que je n’arrive pas à financer ! Le troisième court métrage de Xabi Molia, mon frère, entre documentaire et fiction, S’éloigner du rivage, que je tourne dans trois semaines avec Julie Gayet et un enfant de 9 ans. C’est l’histoire d’une mère sans emploi et sans domicile qui, avec son enfant, part à la mer : le film devient alors une sorte de road-movie. J’ai également en préparation ce projet avec Emma Perret, la jeune lauréate du Festival de Bourges, un moyen métrage de Hugues Harriche, La Frontière, refusé au CNC. Hugues est franco-suisse et je vais tenter de coproduire le film avec la Suisse. J’ai aussi en préparation un autre court métrage, Uberts de Mathieu Busson qui passe aujourd’hui en commission aux Pays de la Loire. Et j’attends encore la réponse du CNC pour ce projet, l’histoire de deux amis dont l’un est écrivain et l’autre attardé mental. Le second convainc le premier de l’aider à mettre fin à ses jours. C’est un film qui traite de l’accompagnement de la mort, de l’euthanasie. Un sujet un peu borderline au niveau du politiquement correct…
Pour finir, quelques conseils à un jeune et apprenti producteur ?
Lorsque j’ai démarré je me suis dit : « il y a deux possibilités : soit je rentre dans une société qui existe déjà et je commence au bas de l’échelle, stagiaire-café-photocopies et je suis satellite espion pour apprendre des choses. Soit je monte ma société maintenant. Je prends des risques mais je pense que je vais gagner cinq ans. » J’ai pris le risque. Il faut être complètement inconscient pour monter une société ! Il ne suffit pas d’être bon dans un domaine, il faut savoir tout faire, être capable de tout gérer : un producteur remplit une multitude de fonctions. Il faut avoir aussi des pistes, des contacts, une stratégie. Des amis producteurs ont résumé la situation en une image assez parlante : « Christie, c’est bien, c’est courageux ce que tu fais, mais c’est comme si Renault produisait des voitures pour cinq personnes… » Tout d’un coup tu te sens beaucoup moins flattée !