À l’occasion de la sortie de My Magic, en compétition officielle cette année à Cannes, rencontre avec le réalisateur singapourien également auteur du beau Be with Me en 2003.
Vous avez écrit My Magic en trois jours, il a été tourné en neuf…
Oui c’est comme ça que ça s’est passé. Je ne pensais pas être capable de l’écrire en trois jours, mais c’est pourtant comme ça que ça s’est passé. Deux ou trois semaines de préparation, et nous entamions le tournage que les contraintes budgétaires devaient limiter à 12 jours maximum. Tout s’est tellement bien passé durant ce tournage que nous avons fini plus rapidement que prévu.
Le film était donc prêt dans votre tête, ce qui vous a permis de travailler si vite ?
Oui. Depuis peut-être deux ans tout était prêt dans ma tête, j’en parlais beaucoup avec mon scénariste [Wong Kim Hoh, également scénariste de Be with Me ou avec Francis[Francis Bosco, le comédien principal de My Magic]. On savait très bien où on allait. Sauf la fin, cette scène magique où le petit voit ses parents jeunes faire de la prestidigitation. Je ne savais pas ce que l’enfant allait devenir à la fin. C’est après cinq jours de tournage que cette image m’est venue.
Vous avez tourné dans l’ordre chronologique ?
Non, ça n’était pas possible parce que nous ne devions pas tourner plus de douze jours. Pour gagner du temps on a tourné en fonction des lieux, des deux lieux principaux. J’ai eu le temps de tourner la scène finale qui n’était pas prévue parce que nous avions encore un peu de temps de tournage sur le lieu.
Vous avez tourné les scènes de prestidigitation avec Francis à chaque fois en une seule prise seulement.
En effet, ça a toujours fonctionné. Et je voulais faire en sorte de me tenir à une seule prise sur ce genre de scène car les tours de magie qu’exécute Francis ne sont pas sans risque pour lui.
Avez-vous avez passé beaucoup de temps avec Francis avant le tournage ?
Oui, nous nous connaissons depuis longtemps, depuis dix ans, et sommes devenus très amis. Trois ans après notre rencontre, nous avons eu l’idée de faire un film ensemble, un film sur la relation père-fils. J’ai passé beaucoup de temps avec lui à parler de son personnage.
A-t-il écrit le film avec vous ?
Francis lui aussi écrit ses propres scénarios. Mais non, il n’a pas participé à l’écriture du mien.
Comme pour Be with Me avec Teresa Chan, c’est une personne réelle qui vous a donné envie de faire un film.
Oui, Teresa était le pilier de Be with Me. Quand je l’ai rencontrée c’était une évidence, j’ai voulu la filmer et qu’elle raconte son histoire. Dans le film, c’est vraiment elle. Avec Francis, c’est un peu différent, il m’a davantage inspiré pour créer un personnage.
Dans Be with Me vous expérimentiez des choses, sur la place des personnages dans le cadre, le langage, la narration. My Magic est plus simple…
Dans Be with Me, je parlais de la communication. Je le fais aussi dans My Magic. Il y a ce père et ce fils, qui sont à deux pôles opposés. Les rôles sont inversés entre l’adulte et l’enfant. Je voulais montrer qu’on ne peut pas juger les gens. Le père au début est condamnable, il néglige son fils, puis, on comprend plus tard que c’est quelqu’un qui souffre lui aussi. Je voulais montrer l’ambivalence du personnage, explorer ce qu’est l’être humain.
Dans quelle direction souhaitez-vous aller pour votre prochain film ?
Il sera basé sur l’histoire vraie d’une danseuse singapourienne, Rose Chen, très célèbre dans les années 1950. Je trouve la vie de cette femme extrêmement intéressante. Elle est morte en 1982. Je ne l’ai jamais rencontrée, mais je rencontre des gens qui l’ont connue et je consulte beaucoup d’archives à son sujet.
Vous avez besoin de quelqu’un de bien réel pour point de départ.
Tout à fait. A Singapour, on a peu de bons scénarios, alors on doit les créer. Il m’est plus facile de partir de quelqu’un qui existe vraiment.
Allez-vous l’écrire avec Wong Kim Hoh, votre co-scénariste pour Be with Me et My Magic?
Non, cette fois je vais travailler avec le co-scénariste de mon second long métrage, 12 Stories. On va avoir beaucoup de recherches à faire pour reconstituer les années 1950 à Singapour.
Vous dite que My Magic s’achève sur l’espoir, il y a aussi la fatalité qui s’abat…
Je suis issu d’une société où règne encore une violence corporelle forte. Le châtiment corporel est toujours inscrit dans la loi singapourienne. Cela représente symboliquement, d’une certaine façon, une forte possibilité de fatalité individuelle. C’est vrai, dans tous mes longs métrages, quelqu’un meurt.
My Magic a-t-il été censuré pour les scènes de torture par exemple ?
Non, mais il est interdit aux moins de 16 ans, car selon la commission de censure, il était très possible que l’identification aux personnages soit trop forte pour les jeunes spectateurs.
Y a-t-il de bons acteurs à Singapour ?
Non, nous n’avons pas vraiment de bons acteurs. Singapour est un tout petit pays, c’est une ville de cinq millions de personnes. Alors il y a les acteurs pour la télévision et les acteurs pour le théâtre, mais on a vite fait le tour, on revoit toujours les mêmes visages. C’est pour ça que j’aime faire jouer des gens qui n’ont pas d’expérience de la comédie et du cinéma.
Comment avez-vous fait travailler Francis et Jathisweran Naidu (son fils dans le film) ?
Je leur ai fait répéter le texte, notamment sur les lieux du tournage. Ça a été très facile bien qu’ils ne parlent pas ma langue, mais ils parlent anglais. De plus, lors du tournage, une traductrice maniant l’anglais et le tamoul était là en permanence, pour qu’il n’y ait aucun problème de compréhension entre eux et moi.
My Magic a été plus facile que Be with Me, à écrire, tourner, monter… ?
Bien plus facile oui. Ici, il y a moins d’histoires, moins de personnages, moins d’acteurs. De plus, même le montage de Be with Me était très difficile, je crois que j’ai cinq versions différentes du film.
Qu’est-ce que vous voulez contrôler de votre film ? Qu’est-ce que vous laissez vous surprendre ?
Je laisse les acteurs assez libres pendant les répétitions, mais, pendant les prises, ils doivent respecter le texte, ils ne peuvent pas improviser. Sinon on n’en finirait pas. Et on n’a pas le temps.
Voudriez-vous tourner ailleurs qu’à Singapour ?
Si c’est cohérent avec le scénario, oui. L’histoire de My Magic peut être tournée n’importe où, mais c’était plus facile et plus évident pour moi de la tourner à Singapour.
La magie est-elle un moyen de s’évader de la réalité cruelle ?
Bien sûr, la magie est une illusion. C’est ce qui me plaît. De l’illusion, nous ne sommes jamais sûrs. L’illusion est la possibilité de dépasser les certitudes chancelantes du réel. La magie que pratique Francis est à la fois une magie de prestidigitateur et une magie de fakir. Elle lui permet de reprendre en main le cours de sa vie, mais elle l’amène à exposer son corps, cruellement, et sans le renfort de l’illusion. C’est le thème du film, il faut découvrir ce qu’il y a en cet homme. Il est ambigu, on n’est certain de rien à son sujet. D’ailleurs, le titre du film renvoie aussi à Francis, il est magique.
Quels retours avez vous sur ce film ?
Les gens l’aiment bien. Ils le trouvent émouvant, mais ils sont tristes pour le petit.
Sans cette scène de magie, la fin est triste en effet.
Avec la scène de magie, la fin est très romantique. On se dit qu’on ne peut qu’être auprès de l’être qu’on aime. Je voulais qu’il y ait de l’espoir à la fin.
De quels réalisateurs vous sentez-vous proche ?
J’aime beaucoup Kaurismäki, Haneke. Quand j’étais jeune, Scorsese. Midnight Cowboy de John Schlesinger, j’adore ce film, je peux le regarder sans cesse. J’ai beaucoup regardé aussi les films de Takeshi Miike, (Dead or Alive, Visitor Q, Audition), un Japonais, j’adore ses films !
Voyez-vous beaucoup de films ?
Pas ces temps-ci parce que je manque de temps, mais j’y vais avec mes enfants, voir Iron Man, les blockbusters…
Ça n’est pas le cinéma qui vous inspire ?
Non, c’est plutôt lire des articles. Je ne regarde pas la télévision, on n’a pas assez d’heures dans une journée. Vous savez, j’adore faire des comic books, et j’aime beaucoup travailler sur les storyboards. Je veux faire un nouveau comic book, qui regrouperait différentes histoires, différentes personnes… Ces histoires auraient toutes lieu dans un café où se croiseraient les personnages. Et à la fin, on comprendrait qui raconte ces histoires. À savoir, une table. Parce que la table est l’objet qui recoupe ces histoires. Et la table est totalement liée au café en tant que lieu, où il y a à manger, où il y a le bar. Dans ce comics, il y aurait aussi une femme de 60 ans, la table serait amoureuse d’elle depuis qu’elle a 16 ans.
Vous dessinez aussi ces comics ?
Oui, j’écris et je dessine. Pour cette histoire, la forme du comics est très pratique car vous pouvez avoir des dialogues en phylactères, avec de petites bulles qui symbolisent la personne qui s’exprime, ou l’objet qui pense, comme ici la table. C’est quelque chose que l’on ne peut pas faire au cinéma. C’est vraiment un média intéressant. Et puis, c’est l’histoire de ma vie : je suis la table !
Et vous pouvez changer le point de vue.
C’est juste. Tout ce dont j’ai besoin, c’est de mon carnet et mon crayon. C’est quelque chose que je peux faire toute une journée. Lorsque je dessine, je me sens bien. Je dessine depuis que je suis enfant. J’adore utiliser les pinceaux chinois. Ils sont à la fois flexibles et capables de bonnes pressions comme pour la calligraphie. Quand je dessine les contours c’est un vrai plaisir. Si tout se passe bien, l’éditeur va publier ce livre. Alors peut-être, après seulement, je pourrai en faire un film…
Ce comics viendra-t-il jusqu’en France ?
Il est peu probable qu’il soit traduit en France, mais, pourquoi pas, car les comic books sont très populaires en France, au Japon.