Le déferlement annuel de super-héros débarque enfin. Pour ouvrir les festivités, Iron Man fait son entrée. Passera-t-il son examen de passage cinématographique ? En le plaçant dans un scénario œdipien comme Hollywood les affectionne tant, en misant sur la qualité du casting autant que sur les effets spéciaux et en ne gommant pas les ambiguïtés du personnage (créé par Stan Lee en 1963), les producteurs ont tout fait pour qu’il s’en tire avec une mention « Bien ». Au moins.
Voilà une décennie que le bestiaire des éditions Marvel Comics se niche confortablement tous les ans une place au sein des blockbusters estivaux. Avec plus ou moins de bonheur, nous avons le droit soit à un nouveau personnage, soit à la suite d’une saga à succès. L’année dernière le grand écart fut conséquent car nous avons dû passer du génial (mais mésestimé) Spider-Man 3 au poisseux (mais unanimement reconnu comme tel) Les 4 Fantastiques et le Surfeur d’argent. Cette année, c’est donc au tour d’Iron Man de se présenter. Moins connu chez nous que les X‑Men ou Hulk, le personnage n’est néanmoins pas dénué d’intérêt : Tony Stark, génie de la mécanique, marchand d’armes, milliardaire excentrique et égocentrique, patriote, playboy, alcoolique et gros complexé d’Œdipe, est capturé par des terroristes lors d’un voyage dans le Moyen-Orient. Ces derniers veulent mettre à profit son savoir en l’obligeant à construire une arme surpuissante pour leurs diaboliques exactions. N’étant pas la moitié d’un idiot, le wonder-boy se fabrique, à leur insu et avec le matériel qu’on lui a fourni, une armure indestructible et tout plein de gadgets mortels pour lui permettre de se frayer une issue de secours. De retour chez lui, Tony Stark (génial, certes, mais un peu lent à la détente) réalise à quel point la construction d’armes fait du tort à l’humanité. Une idée germe : ne pourrait-on pas développer cette armure et en faire une combinaison ultra sophistiquée qui lui permettrait de lutter contre le crime ? Voilà qui pourrait lui donner bonne conscience tout en flattant son ego surdimensionné…
Soyons franc : la grande réussite du film tient essentiellement dans le choix de l’interprète principal. Pour rendre ce personnage passablement répugnant sympathique, pour que son cynisme et son addiction à la boisson passe pour une façade qui comblerait les fêlures, pour qu’on puisse s’identifier à lui immédiatement, Robert Downey Jr est le pari gagnant. Prendre une vedette pour jouer un super-héros s’est toujours soldé par un échec (Ben Affleck en Daredevil ou George Clooney en Batman, pourtant pas les héros les moins passionnants). Une vedette, ça préserve avant tout son image de marque, ça reste, quoi qu’il arrive, un peu au-dessus de son personnage. Or, pour jouer un super-héros, il faut savoir faire preuve d’abstraction, prendre son rôle au sérieux mais ne pas se prendre au sérieux (ce qui est le contraire des stars), savoir jouer de la distance entre ce qu’on interprète et le regard que l’on y porte. C’est là le seul moyen de ne pas sombrer dans le ridicule vers lequel ces histoires d’hommes en collant tendent. Bref, il faut un comédien, un vrai, comme Downey Jr. Mais aussi comme le grand Jeff Bridges qui incarne la Némésis du héros, Obadiah Stane, associé de Tony Stark mais également son mentor et son père de substitution – qu’il faudra donc tuer.
Les réalisateurs n’ont pas un gros effort à fournir pour que toute cette machinerie coûteuse (plus de 180 millions de dollars quand même…) fonctionne. Il suffit que leur mise en scène reflète leur plaisir à animer les figures de leur jeunesse, à les redécouvrir en les filmant et à les filmer en train de se découvrir dans la peau de tel ou tel comédien. La longue partie du film où Stark, réfugié dans son garage, peaufine son armure en guise de quête d’identité, reflète l’investissement de Jon Favreau, réalisateur du pourtant mauvais Elfe et du pas très bon Zathura – Une aventure spatiale. En prenant le temps d’observer son héros, quitte à considérablement réduire le quota de scènes d’action (qui deviennent du coup assez précieuses), une transe intime finit par les lier. C’est ce qui lui permet de nous faire partager son frisson. Parfois, nous ne demandons pas plus que cette communion.