Quand on est un acteur expérimenté, on a forcément beaucoup de choses intéressantes à raconter. Jean-Pierre Cassel est de ceux-là. Actuellement à l’affiche dans Virgil, il nous parle de son rôle et de sa manière d’aborder son métier.
Qu’est-ce qui vous a séduit dans ce film ?
Tout d’abord le scénario, que je trouvais formidablement écrit, et puis le rôle. Quand j’ai rencontré Mabrouk, on s’est tout de suite très bien entendus, nous avions le même regard sur plein de choses. Ça s’est fait très simplement. Ce qui m’a plu, aussi, c’est qu’il a eu ce regard sur moi, on ne m’avait jamais proposé quelque chose d’analogue, donc je trouvais intéressant d’y aller.
Comment s’est passé le tournage ?
Le tournage était très agréable dans la mesure où on a pratiquement tout tourné en studio, ce qui apportait un certain confort, surtout que nous avons tourné vite, en six semaines. Certains tournages peuvent devenir pénibles quand on tourne en décors naturels, et qu’il faut à chaque fois tout installer, et tout redémonter, et ainsi de suite. Le studio permet de se reposer, et de se concentrer sur les scènes qu’on a à jouer. On ne faisait que cela, jouer la comédie, et nous avions plein d’énergie. Cela permet aussi de garder une continuité dans l’interprétation. Mabrouk aussi avait une grande énergie, il ne lâche rien, il savait très bien ce qu’il voulait.
Pensez-vous que votre personnage, malgré son séjour en prison, soit un bon père ?
Lui, il considère que c’est le cas. Je crois qu’il est assez maladroit, qu’il y a des choses qu’il ne comprend pas très bien. Il est aussi un peu égoïste, mais il rattrape quand même le coup avec Margot. S’il n’était pas là, Virgil et Margot continueraient à se regarder en chiens de faïence, dans la chambre d’hôpital. En ce sens il est un bon père, même s’il ne sait pas toujours comment s’y prendre. Il aurait pu y avoir des conflits, parce que Ernest n’est pas son vrai père, mais il y a juste quelques petits problèmes de communication. Dans le film, tous les personnages sont éperdus d’amour, ils ont besoin qu’on les reconnaisse, qu’on les aime, mais sont incapables de le dire. Par pudeur, ils ne peuvent pas non plus dire à quelqu’un qu’ils l’aiment. Et ça arrive malheureusement souvent dans la vie. Il m’est arrivé de perdre des gens, et de m’apercevoir que je ne leur avais jamais dit ce que je pensais vraiment.
Comment préparez-vous vos rôles, êtes-vous un adepte de la répétition ?
Tant mieux si les gens pensent le contraire, mais je ne suis pas un bûcheur. Quand je lis un scénario, j’essaie de le lire comme le spectateur voit le film, c’est-à-dire dans une sorte de continuité, en essayant de ne pas m’interrompre, et de déjà visualiser les choses. Je vois alors si ça fonctionne bien. Après seulement viennent les discussions avec le metteur en scène. Je crois que la première impression est très importante. Si on commence à s’ennuyer à la dixième page, c’est que quelque chose ne va pas. Les quelques fois où je me suis laissé séduire par les propos du metteur en scène ou du producteur sans être vraiment convaincu par le scénario, je me suis aperçu à l’arrivée qu’il manquait quelque chose, et que je m’étais trompé. J’essaye donc d’être le plus réceptif possible à l’histoire racontée, et comment on va la traduire.
Vous avez besoin de comprendre vos personnages pour les jouer ?
Ha oui. Il n’est pas forcé de les aimer, mais il faut avoir envie de les défendre. C’est Pierre Fresnay qui disait qu’on peut jouer pratiquement tout, à partir du moment où à l’intérieur du rôle il y a un petit sentiment qui nous ressemble profondément, comme une petite matrice, et à partir de là on construit le personnage, quitte à lui donner une autre apparence que celle que les gens imaginent. S’il y a une vérité profonde dans un personnage qui vous appartient, à ce moment là vous pouvez le jouer. Si rien n’accroche, il faut laisser le rôle à un autre.
Qu’attendez-vous d’un réalisateur : qu’il soit plutôt strict, ou qu’il vous laisse une part de liberté ?
Tous les bons metteurs en scène sont très stricts, mais ils ne le montrent pas, il n’y a pas d’autoritarisme. Je n’aime pas du tout les metteurs en scène qui imposent des choses, c’est la meilleure manière de louper. On ne peut pas imposer quelque chose, mais ce qui est fort, c’est de vous donner l’envie de faire les choses qu’on vous demande. Pour tous les grands avec lesquels j’ai travaillé, c’était le cas : Buñuel, Renoir, Losey, Lumet, ils n’imposent rien, mais comme par hasard, vous faites ce qu’ils demandent. C’est le talent. Chabrol, De Broca, Melville aussi sont comme ça. La manière n’est pas forcément la même, mais ils vous mettent dans un cadre, et ce cadre vous dicte votre comportement. Si vous êtes bien filmé, vous ne pouvez pas jouer faux. Les bons metteurs en scène sont ceux qui choisissent la bonne prise, avec l’acteur qu’il faut, au moment où il faut, les cadres sont peut-être la chose la plus importante. Mabrouk, lui, a le sens du cadre. Chabrol a un sens du cadre absolument incroyable, presque tous les grands metteurs en scène. Au théâtre, c’est différent, parce qu’on prend possession de l’espace qui nous entoure, donc l’acteur sait très bien, à force, où il faut se placer par rapport à une réplique, au public. J’ai un jour travaillé avec Pierre Dux pour Les Temps difficiles, et il m’a fasciné. Il restait dans la salle, et nous dirigeait au millimètre près sur les places, il nous amenait à l’endroit exact qu’il souhaitait. Et alors on parlait, et c’était juste. Lui jouait comme ça, et il savait que ça marchait. Il avait cette formidable qualité, ce sens-là.
Qu’est-ce qui vous donne votre énergie ?
L’envie. Dès que je suis trop longtemps au théâtre j’ai envie de faire du cinéma, et inversement. Depuis quelques années, je me suis mis à chanter, et j’ai envie de faire un tour de chant sur Gainsbourg. J’ai hâte de retrouver mes musiciens, et de partir. Le seul moteur qui compte, c’est continuer à avoir envie. Le jour où vous n’avez plus cette envie, c’est affreux. C’est comme les enfants qui n’ont pas d’envie. Les gosses désœuvrés, il n’y a rien de pire, on ne sait pas par quel bout les prendre. Moi je ne me suis jamais trop fait de souci pour mes enfants, parce qu’ils ont eu, à un moment, fortement envie de quelque chose, et donc il n’était pas question que j’aille contre leur envie. Et pour faire ce métier, il faut avoir envie. Il n’y a rien de pire que d’aller au théâtre si vous n’avez pas envie de jouer. Quand on vous attend, il faut assurer. Et je prie le ciel pour que cette envie ne m’abandonne pas.
Y a t‑il encore des rôles que vous aimeriez jouer ?
Curieusement, je n’ai pas commencé ce métier en me disant que j’allais jouer le Misanthrope, ou Hamlet, ça n’avait pas d’importance. J’avais envie de jouer des rôles. Et il se trouve que j’ai eu la chance de rencontrer des gens qui m’ont offert des rôles. Chaque fois, je me dis « Tiens, celui-là, je ne l’ai pas fait, il est comme ci, il fait ça », et ça me fait marrer. Pour Figaro, j’avais travaillé le rôle au cours Simon, mais je ne m’étais pas dit que je jouerais Figaro un jour. Et puis on m’a proposé de le jouer pour remplacer un comédien qui était malade. Au début, j’ai douté de moi, et puis je l’ai joué, et j’étais fou de bonheur. Mais ça ne m’avait pas empêché de dormir de ne pas jouer Figaro. Et je continue à être comme ça, à attendre que des gens me proposent des choses intéressantes. Quand on me dit qu’on a pensé à moi pour un rôle, et que je tombe sur quelque chose que j’ai déjà fait des tas de fois, je suis très ennuyé. Les gens vous proposent ce qu’ils croient que vous savez faire le mieux et qui vous amuserait, mais ce n’est plus très drôle au bout d’un moment, on a envie de passer à autre chose. Sinon on tombe dans une routine, alors qu’au départ je pense que j’ai fait ce métier pour ne pas tomber dans la routine. Donc si on s’enferme dans ce métier en acceptant d’être tout le temps le même, je ne vois pas pourquoi on fait ce métier.
Vous avez un meilleur souvenir de tournage ?
Il y a plein de moments. Quand vous êtes dans un film, que vous êtes bien entouré, qu’il y a une réelle ambiance, alors on s’en souvient forcément. Le Caporal épinglé, de Renoir, par exemple, a été très agréable. Nous étions tous de jeunes comédiens, et on tournait avec le plus grand metteur en scène vivant à l’époque. Il revenait des États-Unis, il nous avait choisis, on était dans une sorte de bonheur formidable, et on a beaucoup rigolé. Mais c’est arrivé aussi d’autres fois. Pour le premier film de De Broca, Les Jeux de l’amour, là aussi on était tous neufs, on croyait que ça se passerait tout le temps comme ça, on faisait ce qu’on voulait, on jouait ensemble… et puis après ça évolue un peu, ce n’est pas toujours aussi drôle.
Parlez-nous de votre apparition dans Superman 2…
C’est parti d’une blague avec le réalisateur, Richard Lester, avec lequel j’avais déjà tourné Les Trois Mousquetaires. Un jour je suis allé le voir sur le plateau, et je lui ai reproché en rigolant de ne pas m’avoir donné de rôle. Ils m’ont donc mis un uniforme, et ils m’ont mis en figurant. Et tout le monde l’a vu ! J’aurais adoré avoir un rôle un peu plus important dans Superman 2, même une participation. Là il y a juste un plan sur moi dans la Maison Blanche, je suis un officier français. Parfois des gens oublient certains de mes rôles courts, et là, une figuration et tout le monde m’en a parlé, c’est extraordinaire.
Quels sont vos projets ?
Je vais partir la semaine prochaine au Luxembourg pour tourner une comédie musicale avec Alain Berliner, le réalisateur de Ma vie en rose. C’est une histoire de passion pour la danse qui se transmet de génération en génération. Je pense que ce film va concrétiser tous les rêves des gens de ma génération de faire un jour de la scène et de devenir Fred Astaire ou Gene Kelly. Je répète les numéros depuis deux mois. Pour Virgil, c’est pareil, les deux garçons se sont entraînés pour que ce soit crédible, et après seulement on peut tourner. Il faut se préparer sérieusement pour tourner une comédie musicale, c’est un travail énorme.