Mabrouk El Mechri a répondu à nos questions sur son film Virgil. À travers ses réponses se dessine le portrait d’un jeune réalisateur plein d’entrain, ayant envie d’écrire et de tourner, mais surtout de raconter des histoires. C’est tout le mal que nous pouvons lui souhaiter.
Comment avez-vous vécu professionnellement le passage du court métrage au long métrage ?
Je ne m’en rends pas encore très bien compte. Quand je prends conscience d’un événement dans mon parcours, ça vient toujours très loin a posteriori. Le passage entre le court et le long n’a pas été pour moi très visible, très explicite. J’ai écrit un scénario plus long, j’ai choisi mes acteurs, on était dans l’action, je n’ai donc pas eu l’occasion de me poser pour réaliser ce qui se passait. Je commence seulement à réaliser, et c’est plutôt agréable. Je trouvais le rythme du court métrage très dur, car il me manque un peu d’esprit de synthèse, nécessaire au court.
Vous aviez un budget plutôt restreint : ce fut une contrainte ou un moteur ?
L’école du court métrage apprend à gérer son argent de manière précise, en nous faisant prendre conscience que chaque choix artistique entraîne un coût, donc on apprend à bien choisir en fonction de ce que l’on veut raconter. Je savais dès le départ que je n’aurais sûrement pas cent mille figurants, donc à partir du moment où les concessions étaient bien pensées à l’écriture, en découlent des choix de mise en scène purs et durs. Donc ce n’était pas des contraintes, l’histoire vaut ce qu’elle a coûté. À l’écriture, il a fallu être synthétique, essayer de trouver des choix de mise en scène qui soient malins et donnent un résultat sympa à regarder, et en même temps pas chers. Le plan à 360° est typiquement un plan de système D, qui n’a pas nécessité trop de moyens, et en même temps, cela crée une esthétique qui a une vraie histoire, une vraie tradition : celle de la série B vers laquelle Virgil tend, celle des boxing dramas comme Fat City ou The Set Up. Je n’étais pas en terrain inconnu, cette esthétique était déjà balisée.
On retrouve des influences à la fois populaires et 70′ dans votre film, surtout au niveau de la musique…
Cela vient de mon expérience de spectateur, pas de réalisateur. J’ai travaillé à l’instinct, j’avais des images qui me venaient, des envies de découpage, sur lesquelles les musiques étaient choisies assez rapidement. Il n’y a pas vraiment de volonté de mixer des genres, cela fait partie de moi en tant que spectateur. Les orchestrations qu’on a choisies sont assez proches de ce que faisait Joseph Sargent, par exemple, qui était un réalisateur pur et dur de série B, et qui utilisait des bandes-sons de type Big Band, assez ostentatoires et qui marquaient les esprits parce qu’elles compensaient le manque de moyens à l’image.
Comment avez-vous regroupé le casting, comment avez-vous fait pour que l’équipe marche ?
Pour qu’elle marche, on croise les doigts, et on dit « Action ! »… J’avais déjà travaillé avec Léa et Karim. Pour Jalil, ce fut un choix par rapport à la crédibilité du personnage, qui devait à la fois couper des grecs et monter sur un ring. Tomer, c’est la directrice de casting qui m’a aiguillée sur lui, et ce fut aussi une rencontre. Il n’y a pas eu d’essais pour le film. C’est très paniquant, les essais, parce que les conditions de jeu ne sont pas toujours exceptionnelles, la qualité vidéo n’est pas très flatteuse pour les acteurs. J’ai fait confiance à mon feeling. Je savais aussi que le tournage allait être âpre, qu’on avait assez peu de temps pour tourner, donc c’était autant un casting d’êtres humains que de talents de jeu. Il faut partir avec les bonnes personnes si on veut arriver au bout.
Les personnages évoluent en fonction de vos rapports avec les acteurs ?
Oui, par exemple, j’ai tout de suite dit à Tomer qu’il manquait des traits de caractère au personnage de Dino. C’est toujours plus laborieux d’écrire un personnage d’antagoniste. Mais Dino sans Tomer, ça n’existe pas, c’est un méchant en deux dimensions. L’interprétation apporte une part énorme au personnage. Et c’est valable pour tous les autres rôles, même si sur certains personnages on est beaucoup plus calés parce qu’à l’écrit ils sont plus développés. Je trouve par exemple que le personnage que joue Jean-Pierre dans le film m’a complètement échappé, dans le sens où l’émotion que dégage son personnage n’est absolument pas tangible avant de tourner la scène. C’est une vraie collaboration, on se sert du talent, d’une tessiture de voix, d’un mouvement de tête, d’énormément de choses. C’est un échange de bons procédés.
Dans votre travail, vous préférez le moment solitaire de l’écriture, ou le moment du tournage, avec l’équipe ?
L’écriture, elle est marrante quand on est au niveau du séquencier, ça dure une dizaine de jours, quand on invente tout l’enchaînement des événements. On jette des faits sur le papier, et une certaine logique se met en place, c’est très agréable. Mais après il faut travailler sur la cohérence, la structure du récit, la dramaturgie, et là c’est plus long et laborieux, et aussi solitaire, alors que je ne me considère pas comme quelqu’un de solitaire. C’est beaucoup plus agréable d’être entouré, d’échanger, de voir dans un œilleton l’incarnation de ce qu’on a écrit. Au tournage, les sensations sont plus évidentes qu’à l’écriture. Le plaisir de l’écriture est très infime, il est vraiment à la conception de l’histoire et des caractères. C’est très fugace, alors que sur un plateau c’est assez constant. Quand on tourne un plan, qu’on le met en boîte, puis qu’on passe à autre chose, il y a une sensation de contentement. Je dormais extrêmement bien au moment du tournage, on voit les choses se faire, avancer. Les nuits blanches sont à l’écriture. Le montage et le mixage sont aussi de vrais plaisirs.
À un moment, il y a une scène de combat, mais on ne voit que Virgil en train de s’écrouler par terre. Le fait de ne montrer que la fin du combat fut un choix de montage ?
On n’a jamais filmé ce combat. C’est un choix de série B. Je me suis demandé si on avait réellement besoin de voir ce combat. Est-ce que dans la scène précédente, au parloir, on n’a pas déjà fait sentir qu’il allait perdre ? On évite donc la redondance, et ainsi on surprend les gens en utilisant l’ellipse. On essaie de prendre le spectateur à contre-pied, de le garder alerte. Au départ, j’avais l’idée de filmer tout le combat sur les feuilles d’arbitre de table, qui notent les points au fur et à mesure. Mais on a tourné les scènes de combat en quatrième semaine, et à ce moment-là, j’avais pris confiance en mes personnages, donc j’ai voulu aller droit au but, et centrer sur les personnages. Cela m’a permis d’aller vraiment à l’essentiel, car en tournant aussi vite on a le temps de voir le film se faire. On a vraiment l’impression de voir le film défiler tout le temps.
Le découpage en fonction des cinq bobines était prévu au départ ou cela s’est décidé après ?
On en prend conscience au montage. Au tournage, on suit le scénario, il y a une dramaturgie, et bien sûr, des lignes de force se dessinent. Ensuite, on se réapproprie complètement le film au montage. On repart à zéro. Le film ne commence pas du tout de la façon dont il aurait dû commencer dans le scénario. Des évidences se mettent en place au fur et à mesure, au niveau du rythme, notamment.
Comment voyez-vous votre film, aujourd’hui ?
Je fais mon deuil assez rapidement. À partir du moment où j’ai choisi un mot à l’écriture, cela veut dire que je me suis privé d’autres mots. Sergio Leone disait que mettre en scène, c’est autant prendre la décision de mettre sa caméra à tel endroit, que de ne pas la mettre à tel autre ou tel autre. Pour l’instant, nous avons des retours qui sont quand même assez proches de ce que je voulais véhiculer au départ, mais parfois on nous fait des remarques qui sont complètement à côté, des choses que nous n’avions absolument pas vues, mais ce n’est pas très grave. Je fonctionne moi-même avec ce processus de réappropriation en tant que spectateur, donc il faut que je la tolère en tant que réalisateur.
Est-ce que vous pensez que pour faire du bon cinéma, il faut être cinéphile, il faut avoir vu et digéré beaucoup de films ?
Je pense qu’il faut juste avoir une démarche honnête. Je suis plus cinéphage que cinéphile. Je n’aime pas forcément la référence absolue, cette espèce de fétichisme. On peut obtenir un résultat fabuleux, à partir du moment où il y a une démarche honnête de raconter une histoire. Les pionniers, Griffith, Eisenstein, n’avaient pas encore de références cinéphiliques. Je pense que la cinéphilie peut devenir un fardeau assez rapidement. Une idée peut me venir très naturellement, puis je me rends compte qu’on l’a déjà vue dans un film. Alors soit je la retravaille, soit je l’abandonne complètement. On est là pour raconter une histoire, pas pour montrer aux gens qu’on a vu tel ou tel film. Il ne faut pas que la culture déborde du récit.
Y a t‑il justement des idées que vous ayez mises de côté parce que c’était des références ?
On voulait faire un clin d’œil à Rocky, au moment de l’entraînement, dans un objectif de second degré. Donc on a essayé d’obtenir les droits de la musique. Virgil devait s’entraîner à la corde, alors on entendait la musique de Rocky, et on se rendait compte que c’était les personnages de Sid et Dunlopillo qui l’avaient mise pour se marrer. Mais Bill Conti ne veut pas qu’on utilise la musique de Rocky dans un film ayant trait à la boxe, donc on n’a pas pu le faire. La séquence aurait été marrante, mais pas indispensable, et peut-être même perturbante.
Vous aviez des affinités particulières avec le monde de la boxe ?
Pas forcément, plutôt avec les films de boxe. The Set Up (Nous avons gagné ce soir) de Robert Wise, fut une grande claque. C’est l’archétype du film noir sur la boxe. C’est l’histoire d’un mec qui est vieux et tellement mauvais que son manager ne lui dit même plus qu’il doit se coucher. Mais ce soir-là, il se dispute avec sa femme, et pour lui prouver qu’il n’est pas un raté, il va gagner. Et il finit par se faire tabasser par des mafieux qui ont cru qu’il voulait les doubler. C’est un film qui se passe en temps réel, une petite série B de rien du tout, mais un très grand film.