Formée suite à la réalisation de La Commune (Paris 1871) par Peter Watkins en 1999 – 2000, l’association Rebond pour la Commune avait à l’origine pour vocation, avant tout, de poursuivre l’expérience « participative » inédite vécue par ses acteurs sous la férule du réalisateur. Avec les problèmes liés à la diffusion du film, l’association s’est progressivement vue adjoindre le devoir de faire connaître le film lui-même, oublié des distributeurs jusqu’à aujourd’hui. Sept ans après, l’association est toujours active alors que la version cinéma du film sort sur les écrans, et poursuit son action.
Extraits d’une rencontre informelle entre cinéma et politique autour d’une table garnie, avec Patrick Watkins (monteur et responsable de casting), et Maya Olaso, Zaïna Zerrouk, Maylis Bouffartigue, Pierre Vergnaud, et Jean-Pierre Le Nestour (acteurs et participants à l’association).
Comment avez-vous rencontré Peter Watkins ?
Patrick : Moi je l’ai rencontré très tôt : je suis le fils de Peter Watkins (rires). Les autres, chacun a son histoire.
Maya : Peter organisait les projections d’un autre film, Culloden. Suite à ces projections, il intervenait pour décrire son projet sur la commune. Il demandait aux gens s’ils étaient intéressés par participer à cette expérience, et de quelle manière ils pouvaient participer : soit en jouant, soit en accueillant les gens qui jouaient, soit à la technique. Il y avait une équipe technique professionnelle, et il y avait ensuite des bénévoles. Moi j’étais d’abord prise dans l’équipe technique, et puis j’ai été prise dans les comédiens, mais j’ai d’abord travaillé quinze jours dans les accessoires.
Après six ans d’action de l’association de Rebond pour la Commune, est-ce que vous avez un bilan à tirer ?
Jean-Pierre : 80 000 adhérents, spécialement en Corée (rires)
Patrick : J’en profite pour un petit aparté : (à Jean-Pierre) Tu te rappelles qu’il y a à peu près un an, j’avais écrit à l’Association de l’Amitié avec la Corée du Nord, pour proposer une projection en Corée du Nord ? On vient d’être admis dans l’association (…) donc, on peut y aller ! Faut payer par contre… Ceci dit, on a fait une projection en Corée du Sud, et c’était la plus grosse projection qu’on ait jamais eue. On a eu près de 2 000 personnes.
Et les réactions ?
Patrick : Les gens étaient ravis. Il y avait des sous titres électroniques sur le côté, et la projection se déroulait de minuit jusqu’à 5h du matin, et après il y a eu débat jusqu’à midi. On a dû arrêter parce que le traducteur n’en pouvait plus.
Vous avez beaucoup voyagé avec l’association ?
Patrick : Oui, pas mal. On a fait les États-Unis, l’Europe on a fait pas mal, les pays de l’Est on n’a pas trop fait. L’Afrique – enfin, le Sénégal et le Mali. La Turquie, l’Italie, l’Espagne… Le Portugal on n’a jamais été mais il a été projeté. Nous sommes très peu nombreux, et c’est un peu compliqué de s’organiser, donc on ne suscite pas les projections : on réagit aux demandes. C’est quand les gens nous contactent qu’on s’organise pour y aller.
Y a‑t-il une renommée internationale pour l’association ?
Patrick : Une renommée internationale, je ne pense pas.
Maya : C’est assez confidentiel, alternatif.
Patrick : Peter Watkins refuse toutes les demandes qui lui sont faites, et il les renvoie souvent sur nous. Ça aide pour les contacts.
Les retombées qu’on peut trouver sur internet sur IMDb, de la part des Américains, sont très positives.
Patrick : Le premier – le seul ! – prix que La Commune a obtenu c’est à Los Angeles, dans un truc hollywoodien. C’est les prix des critiques de cinéma de Los Angeles. C’est vraiment une cérémonie hollywoodienne, et il a eu le prix du film indépendant. C’était il y a un an, un an et demi. Pour revenir sur ta question, le bilan, c’est : on n’a pas comptabilisé, mais je pense qu’on a fait beaucoup de projections. Au départ, on a réussi à faire circuler le film, un peu. C’est grâce à ça que le film est sorti, d’abord en VHS. On a un peu participé au fait que le film soit, non pas vu par beaucoup de gens, mais le fait qu’il circule dans les réseaux, qu’il soit un peu connu en France. Il y a beaucoup de gens qui le connaissent parce qu’on l’a montré dans des festivals, dans des réseaux alternatifs. Maintenant, au départ, l’objectif de Rebond, c’était pas ça. C’était de poursuivre le processus du film, avec des débats, de faire des créations, collectivement, poursuivre le processus qui avait démarré pendant le tournage et qui avait été interrompu brutalement à la fin du film. Après, avec l’histoire d’Arte, ça a un peu changé, et on a été un peu réorienté vers l’idée de défendre le film, qui avait été marginalisé par Arte.
Dans le film, on entend la phrase « la preuve que la Commune a été un succès, c’est parce qu’on se frite encore dessus aujourd’hui » (ou peu s’en faut). La Commune reste dans la mémoire collective probablement parce qu’elle a été écrasée. Est-ce qu’on peut dire que La Commune avait besoin de batailler pour s’imposer ?
Jean Pierre : C’est dans la logique de la Commune d’être ostracisée. Le film a été ostracisé comme la Commune a été ostracisée. Peut-être si les acteurs étaient morts à la fin du tournage… (rires) L’argument qu’on sert habituellement, c’est qu’elle n’a pas duré longtemps, donc c’est un point de détail de l’Histoire.
Patrick : Ce qui est vrai, c’est que la Commune aurait pu mal tourner sans Versailles. Les ingrédients étaient là pour que ça finisse vers un espèce de goulag, quoi. Elle a été épargnée de cette déchéance. C’est aussi une possibilité. Quand on regarde ceux qui ont revendiqué la Commune, Lénine, etc. Ce ne sont tout de même pas des enfants de chœur. La vision marxiste de la Commune, c’est tout de même un peu limitatif. C’est ce qui fait que la Commune est à mon avis, brasse plus larges, parce qu’elle intègre des mouvements qui sont très divers politiquement : les blanquistes, les anarchistes, les trotskistes… Tout le monde fait référence à la Commune parce qu’on y trouve tout ce qu’on veut.
Les Versaillais ont été recrutés parmi des gens ayant des sympathies politiques pour le régime de Thiers. Est-ce ces personnes-là se sont prêtées au jeu ? Ils devaient savoir qu’ils n’auraient pas le beau rôle.
Patrick : C’est tout à fait exact. Un certain nombre de Versaillais ont été recrutés par une annonce passée dans Le Figaro et Les Nouvelles de Versailles, où on demandait des gens qui étaient opposés pour des raisons personnelles, politiques aux idéaux de la Commune. Ils devaient jouer les bourgeois du XIe arrondissement, les Versaillais, Thiers… Ils se sont prêtés au jeu : je pense que c’est la spécificité du travail de mon père avec les comédiens, enfin les gens qui participent à ses films. Sur Punishment Park, il y avait des policiers qui jouaient leur propre rôle. Il présente le film de manière honnête. Il ne prétend pas que ce sera dans le sens 50 – 50, autant pour les Versaillais que pour les autres. Mais il laisse la parole aux gens, ils ont la liberté de défendre leur position. Ils savent que finalement le film sera de Peter Watkins, et à la fin du film, il y en a beaucoup qui n’aiment pas le résultat. Mais pendant le processus de tournage, ils ont une place. Qui est difficile, parce que non seulement c’est pas toujours facile d’être comme ça dans un processus collectif, mais en plus dans un processus collectif où ils étaient quand même minoritaires sur le plateau. Les antagonismes étaient forts.
Maya : La chose importante, c’est qu’il nous propose de prendre la parole, et il arrive à faire que les gens prennent réellement la parole. C’est ce que les gens ressentent.
Pierre : Ce qui était intéressant de voir, c’est que sur le tournage, les Versaillais et les Communards ne se parlaient presque pas. L’opposition qu’il y avait lieu dans le film, elle avait aussi lieu sur le plateau. Pas de la même manière, il n’y avait pas de haine, mais il y avait tout de même des groupes opposés.
Patrick : Tu parles des troupes versaillaises. Eux ils sont venus dans les derniers jours sur le plateau. Donc ils n’avaient pas de relation avec les gens. C’était un peu différent pour la quinzaine de bourgeois qui étaient sur le plateau. Eux ça a été le processus inverse. Ils ont mis de l’eau dans leur vin de leur discours. Ils étaient très réactionnaires quand on les a recrutés, et puis au fur et à mesure, sur le plateau, ils sentaient la pression, ils commençaient à devenir, non pas révolutionnaires, mais sociaux-démocrates. On a été presque obligés de leur dire : « attendez, on vous a pris dans le film pour vos positions, et là vous commencez à vouloir donner des augmentations, etc. etc. » D’ailleurs, dans les premiers temps de Rebond, il y avait une certaine partie de gens qui faisaient partie des bourgeois et qui avaient été recrutés dans Les Nouvelles de Versailles qui ont participé à Rebond – notamment Nicole Defer, qui est la patronne du lavoir, un personnage important dans le film – elle était secrétaire d’André Santini, avec un discours très ferme. Mais elle a participé, elle est venu encore récemment à une projection qu’on a fait, elle a sympathisé avec plein de gens dans le film. Finalement, ce qui s’est passé aussi, c’est que, même du côté des militants, des gens très engagés, la question de la politique prime au départ, mais après il y a aussi une question de démocratie de tournage, de démocratie humaine, d’essayer de fonctionner dans un rapport collectif. Ce n’est pas forcément les gens qui étaient les plus grandes gueules au niveau politique qui étaient les plus appréciés dans leur manière de fonctionner collectivement. Parfois, les questions politiques – au sens choix politique, engagement – passaient au second plan par rapport à la manière dont on traitait les autres, et notamment qui parle devant la caméra. C’était une question souvent posée : qui va parler, qui va dire quoi, comment est-ce qu’on va se comporter vis-à-vis de son groupe… Maya, tu peux en parler avec ton groupe, celui des ados.
Maya : On fonctionnait en groupe : il y avait l’Union des Femmes, les ouvriers qui réparaient les fusils… Quand on préparait les séquences qu’on allait tourner, Peter nous expliquait le déroulement de ce qu’on allait tourner, où la caméra allait passer, et après on avait le temps de préparer, de demander à parler de certaines choses précisément, par rapport à des événements chronologiques de la Commune ; et de réfléchir à ce qu’on allait dire en tant que groupe. Les premiers jours de tournage, évidemment, il y avait des comédiens professionnels, ou des gens qui avaient une pratique du théâtre ou du cinéma, donc qui étaient plus à l’aise devant la caméra, qui prenaient la parole plus facilement, qui s’exprimaient a priori, entre guillemets, « mieux ». Forcément, dans les premiers jours de tournage, ces personnes là prenaient peut-être trop de place dans les groupes – ça a été remis en cause, il y a eu beaucoup de discussion dans chaque groupe, et dans le notre en tous cas, le groupe des adolescents. Il y avait une grande différence d’âge. Les plus âgés avaient 26 – 27 ans, les plus jeunes avaient 13 – 14 ans. C’était difficile pour eux, de trouver leur place. Et du coup ça a été vraiment discuté : comment, démocratiquement, on laisse la place à ceux qu’a priori on aide à prendre la parole par rapport à la caméra qui est un objet pas neutre. Dès que la caméra arrive, on change de comportement, on n’arrive plus à parler, ce qu’on avait préparé ne sortait pas facilement, ou sortait différemment. On avait tout le temps des discussions par rapport à ça. Il y avait des frondes des plus jeunes par rapport aux plus âgés. Et je pense que c’était comme ça dans tous les groupes plus ou moins.
Comment les discussions dans le café ont-elles ont été mises en place ? Est-ce qu’elles étaient spontanées ?
Maya : Cela fait suite à un arrêt du tournage en fait. Par rapport à certaines scènes, Peter Watkins nous demandait de traiter certains événements, mais pas tout le temps. C’était spontané à chaque fois. On avait le temps de préparer ce qu’on voulait dire et puis tout le monde voulait dire quelque chose et finalement quand on se retrouve avec la caméra qui arrive sur nous, on n’est pas forcément à la hauteur de ce qu’on voulait dire.
Zaïna : Peter est très sensible, et je crois qu’on lui avait tellement pris le chou, parce que chacun voulait dire quelque chose. Je pense que le rajout, quand on était sur les sacs, c’est à cause de ça. Peter est démocrate.
Dans sa dénonciation de la monoforme, Peter Watkins est très virulent contre le fait de ne donner qu’un temps limité de parole à chaque personne. Par la force des choses, ça a dû être le cas sur nombre de séquences du film. Comment est-ce qu’il a géré ça ?
Patrick : À un moment dans le film, il y a le reporter de la télévision communale, qui interroge les gens avec un micro. Les consignes de tournage étaient qu’il devait être très agressif, un peu comme les télé-trottoirs : donner la parole trente secondes, la retirer, etc. C’était quelque chose qui avait été donné comme consigne pour le journaliste, mais qui n’avait pas été dit aux personnes devant la barricades, et donc il y a un certain nombre de gens qui se sont sentis floués de leur parole, réduits à des espèces de slogans, ils n’aimaient pas ce qu’ils avaient prononcé et la manière dont ça s’était passé. Il y a eu à ce moment là un clash, une rupture de confiance par rapport au contrat de départ, qui était de donner la parole aux gens. À partir de ce clash-là, il y a eu une vraie rupture du tournage, et le compromis a été de dire « les comédiens qui le souhaitent se réunissent devant la barricades, dans le café, etc. On met deux trois bobines à votre disposition, et vous gérez le débat. » Simplement le caméraman choisissait les cadres, etc. mais c’était libre. Donc voilà comment ça s’est passé. C’était au départ essentiellement des revendications qui émanaient de l’Union des Femmes. Mais parce que c’était aussi le point central du film, son axe privilégié, c’était celui de la parole des femmes non seulement dans la recherche documentaire, mais aussi dans le dispositif de tournage. C’est pour ça que cette rupture a été forte.
À l’époque de la diffusion du film sur Arte, en 2000, les Cahiers du cinéma avaient fustigé sa « naïveté », alors que manifestement c’est un choix esthétique. Comment le public réagit-il à la rencontre avec cette option de mise en scène ?
Patrick et Maya : C’est très varié, mais généralement c’est positif.
Patrick : D’un autre côté, il faut bien voir que les gens qui viennent voir le film savent ce qu’ils viennent voir. C’est rarement des gens qui ne connaissent absolument rien au préalable du film du sujet. Ils connaissent la durée : c’est déjà un engagement. Il y a un certain nombre de gens qui ne restent pas jusqu’au bout, mais en tous cas, ceux qui restent là à la fin, ils sont satisfaits.
Jean-Pierre : Cette forme en effraie, à mon avis, une majorité. Il se trouve que les gens qui viennent aux projections ne représentent pas la majorité. Ce sont des gens un peu ouverts, qui s’intéressent à autre chose.
Maya : La majorité des projections qui ont eu lieu pour l’instant, c’est dans des squats, dans des festivals de médias alternatifs.
Pierre : J’ai amené aussi une amie, elle m’a dit qu’elle avait eu un peu de mal, mais finalement elle était contente d’être restée jusqu’au bout. Mais elle a mis une heure, une heure et demie à accepter la forme.
Patrick : Mais je crois que c’est plus que la durée, c’est surtout la forme. La structure même du film est un peu difficile pour pas mal de gens. Ça va à l’encontre même de tout ce qui est cinéma alternatif. C’est pas du tout le genre de cinéma qu’on voit dans les festivals de films alternatifs, avec les images spectaculaires de bastons avec des flics. Le format même n’est pas calqué sur le montage rapide, les clips, les zooms…
Maya : Quand les gens prennent la peine d’aller jusqu’au bout du film, ils se rendent compte que ça fait partie du procédé même du film. C’est-à-dire que les paroles au début sont assez désordonnées, il y a beaucoup de redondances, tout le monde dit un peu la même chose, c’est maladroit. Mais petit à petit, les gens qui ont participé, enfin les acteurs, et la parole devient un peu plus fluide, beaucoup mieux construite, les gens arrivent mieux à s’exprimer, et ça se sent. Moi je sais que au début, je trouve qu’il y a plein de paroles maladroites, mais c’est intéressant de voir tout ça, parce que ça permet de comprendre le processus de création du film, de construction du film, par rapport au metteur en scène, par rapport aux comédiens, ça permet de comprendre plein de choses, plein de strates qu’il y a dans ce film-là, et ça, le cinéma ne montre jamais ces étapes là. Même si ça gêne les gens c’est vraiment bien qu’il y ait tout ça.
Jean-Pierre : De la même façon, quand le film est traduit, les redondances ont tendance à disparaître. Avec le format texte, il y a des choix qui sont faits. D’où le fait que les gens sont peut-être plus réceptifs à l’étranger, parce que ça peut être agaçant, cette redite permanente.
Zaïna : C’est vrai que ça demande un effort, ce film. C’est grave quand même de penser que regarder un film, c’est forcément faire le légume.
Pierre : La forme du film fait clairement partie du processus révolutionnaire. Elle a même été qualifiée de « loghorrée » par Télérama. Quand on est en révolution, tout le monde dit un peu la même chose, tout le monde gueule, c’est fatiguant mais c’est comme ça la révolution. On ne va pas faire comme si c’était autrement. Quand il y a une manifestation, c’est pas super marrant à écouter.
Est-ce qu’un cinéma plus institutionnel ne peut pas lui aussi porter une certaine forme de révolte intellectuelle ?
Jean-Pierre : Bien sûr, mais c’est quand même flagrant que dans tous les films classiques, les gens ne parlent pas comme dans la vie. C’est du théâtre filmé, la plupart du temps. C’est pas moi qui le dis, c’est Bresson.
Zaïna : Ah ben si c’est Bresson ! (rires)
À la fin du film, sur une barricade, le reporter demande à l’acteur d’un communard « est-ce que vous pensez que l’utopie de la Commune est possible aujourd’hui ?», et l’acteur répond « ce n’est pas une utopie, c’est une réalité !» Après six ans d’association, est-ce que pour vous, c’est une utopie, ou est-ce que c’est une réalité ?
Jean-Pierre : C’est une utopie bien sûr. Une vraie utopie ça ne peut que mal tourner. Il y a un retour à l’ordre, un retour à la dictature après chaque révolution.
Maya : Donc il faut renoncer à la révolution ?
Jean-Pierre : C’est Lacan qui disait « la révolution, ça sert à ce que les choses restent en l’état ». Et puis, c’est pas parce que les choses échouent qu’il ne faut pas les tenter. Ce sont les thèses d’Hemingway, et de John Huston au cinéma. Il faut les faire, même si c’est voué à l’échec. Parce que sinon, quel sens a la vie ? Et puis on peut toujours espérer que ce ne sera pas un échec. Il y a toujours la même forme d’espoir : c’est ça de vivre.
Patrick : Ça dépend de quelle perspective on a. En l’occurrence, c’est une question posée à des individus qui sont dans une histoire. Nous effectivement, l’horizon c’est Sarkozy, donc c’est difficile d’avoir beaucoup d’espoir… Mais si on a une perspective plus longue, on peut imaginer d’autres…
Jean-Pierre : L’utopie c’est le sel de la vie. Faut toujours croire à ces trucs là, mais sans être dupe. Il faut établir une distance ironique, brechtienne. Mais par contre il faut le faire. Moi je suis très sceptique sur la possibilité d’évolution de quoi que ce soit, seulement je suis pour le faire quand même. Si on vient me chercher – il faut venir me chercher, déjà. Buñuel, qui voulait avec les surréalistes la révolution immédiate, quand il y a eu la guerre d’Espagne, il était terrifié à l’idée qu’on lui donne une arme et qu’on lui ordonne d’aller se battre – il avait des armes chez lui. Il s’est caché dans sa maison, comme Claude, l’empereur, derrière un rideau. En fait ils lui ont confié une mission diplomatique après, auprès du gouvernement français. Il était vachement content. Donc on peut être les deux à la fois. On peut appeler à la révolution et pas être super chaud pour aller la faire sur les barricades. Moi je n’y étais pas. Hors du plateau, on n’était pas nombreux à ne pas y être.
Maya : Peter nous a laissé le choix d’y aller.
Est-ce que les Versaillais qui à la fin du film se réjouissent de la chute de la Commune ont eux aussi eu le choix d’y aller ?
Patrick : Oui, ça c’était ceux qui voulaient. D’ailleurs il n’y a eu qu’un petit groupe qui est venu.
Jean-Pierre : Dans les Versaillais, il y en a qui jouent et d’autres qui ne jouent pas.
Maya : Oui, parmi eux, il y en avait qui n’étaient pas Versaillais idéologiquement.
Jean-Pierre : Il faut le préciser parce qu’on l’oublie souvent. Il n’y en avait pas beaucoup qui voulaient jouer les « méchants ».
Comment est-ce que vous avez abordé les thèmes actuels dans le cadre d’une action située dans le XIXe siècle ?
Zaïna : C’est le génie du réalisateur !
Patrick : Il y a eu un travail de préparation, de recherche, extrêmement important. Les gens se réunissaient au sein de leurs groupes pour voir comment leurs personnages allaient interagir. Il y avait des séances de travail avec des gens qui avaient travaillé sur la recherche historique, qui recadraient le contexte économique, politique, la parole dans les clubs révolutionnaires. Il y avait une espèce de canevas historique général. C’est vrai que très peu de gens connaissaient l’histoire de la Commune. Mais il y avait aussi des perspectives particulières spécifiques à chaque groupe.
Maya : On nous a aussi donné des documents pour savoir comment les gens mangeaient, comment ils vivaient, comment se composaient les familles, les notions d’hygiène. C’était important pour construire un personnage. Et après il nous demandait de nous ancrer complètement en 1999, ce qu’il se passait pour nous en 1999. On se posait aussi des questions de langage, de comment s’exprimer : est-ce qu’on devait s’exprimer comme nous maintenant ? On a vite compris que c’était pas la peine de jouer une espèce de langage – d’abord parce qu’on n’avait pas les connaissances. Très vite ça a été réglé comme question, mais on se l’est quand même posée. D’ailleurs, il y avait Baptiste, un jeune de notre groupe, qui avait 14 ans je crois, et qui avait composé un rap, un slam, un texte qu’il a déclamé face à la caméra sur la Commune.
Patrick : Par contre, le basculement vers 1999 n’a pas été si spontané que ça. C’est-à-dire que le fait d’être dans l’histoire de la Commune, en costumes, avec cette progression linéaire historique (parce que le film a été tourné dans la chronologie) : les gens ont pas spontanément fait des parallèles entre la Commune et aujourd’hui.
Maya : Je crois dans notre place de comédiens, au début du tournage, on avait besoin de s’ancrer sur une fiction. Dans le sens où on jouait un personnage : on avait choisi un nom, on avait écrit une histoire, on avait présenté cette histoire à Agathe (Agathe Bluysen, notamment scénariste du film, NDLR), on avait eu des discussions avec elle. Moi j’avais décidé que j’étais orpheline, ou pas, je ne sais plus, enfin bref. Je m’appelais comme ci comme ça, j’avais tel âge, mon histoire… On avait besoin au départ dans le film, et petit à petit, à mesure qu’on rentrait dans le processus nous aussi, on devenait plus souples par rapport à ça.
Patrick : Dans les consignes au départ, dès le premier jour, c’était : « n’oubliez pas que vous pouvez, à chaque instant, sortir de votre personnage. »
Maya : Et ça c’est difficile de le faire faire spontanément. C’est pour ça que c’est nécessaire que le film dure six heures, parce qu’il nous fallait du temps avant que la parole ne se libère vraiment, que nous en tant qu’individus on se libère de plein de choses, de la présence de la caméra, de ce à quoi on avait besoin de se raccrocher, les personnages historiques… Et, en effet, là où c’est flagrant, c’est dans les discussions dans le café, où là les gens passent de la Commune à 1999. C’est assez troublant des fois, mais c’est intéressant, parce que ça montre aussi que la Commune c’est pas une histoire à enterrer, que il y a plein de choses qui ont été soulevées par les communards, qui sont complètement d’actualité. (Pause) Donc il faut refaire la révolution maintenant ! 2007, 2008, comme vous voulez !
Jean-Pierre : Ce que dit Deleuze, c’est que « être de gauche, c’est savoir que l’on appartient à la minorité, toujours, jamais à la majorité ». Dans son abécédaire, je vous recommande cette lettre : « G comme gauche ». Moi j’étais fasciné par cette capacité qu’avaient les gens d’aujourd’hui à dire « j’irai sur la barricade, je suis prêt à mourir ». A cette époque-là, les gens, c’était pas les mêmes. Quand tu remontes dans le passé, que tu vois ce que les gens devaient supporter… Ce que je veux dire, c’est qu’ils étaient prêts à mourir, il y a des gens qui allaient sciemment mourir sur les barricades. C’est comme un suicide de masse, c’est énorme.
Est-ce qu’on était vraiment dans un film, à ce moment-là du tournage ?
Zaïna : Quand tu es emballée, t’y crois que tu ferais ça. Mais bon, avec ton magnétoscope chez toi, tout ça, t’irais pas (rires)…
Maylis : Mais même aujourd’hui, il y a des gens qui savent qu’ils risquent gros s’ils vont manifester, ils y vont quand même ! Faut être vraiment opprimé !
Jean-Pierre : C’était le cas des communards. Ça allait mal, en plus on voulait livrer Paris aux Allemands, le siège avait été terrible…
Maya : Peut-être que le problème aujourd’hui c’est qu’on n’est pas assez opprimés ? Peut-être que, grâce à Sarkozy, on va finir par être suffisamment opprimés pour se ré-vol-ter !
Zaïna : Non, parce qu’ici on nous a bien lavé le cerveau, aussi. Et puis, maintenant, t’as honte d’être pauvre, quand même.
Jean-Pierre : Dans Punishment Park, on dit à un des inculpés noirs : « les noirs vivent mieux que jamais dans ce pays », et lui répond « on peut dire la même chose des animaux dans le zoo. Ils mangent sûrement vachement mieux que dans la jungle, mais ils ne sont pas libres. »
Maya : En même temps, je repense à ce qu’il s’est passé dans les banlieues en 2005…
Jean-Pierre : Mais les communards avaient une conscience politique, ils débattaient, discutaient. Où elle est, là, la conscience politique ?
Maya : On a détruit complètement la conscience politique du monde ouvrier, et ces jeunes qui vivent dans les cités en banlieue, c’est les enfants des ouvriers des années 70… Mais par rapport à ce que tu dis, qu’il n’y a pas de conscience politique et tout ça : à chaque fois qu’il y a eu des gens qui ont fait un travail important dans les banlieues, on les en a empêchés. Le MIB, et d’autres associations, d’autres groupes, on a tout fait pour les foutre par terre. Or, c’était des gens qui faisaient un travail d’ouverture politique… Ils ont raison d’avoir la rage, vraiment. Le problème c’est qu’ils sont étouffés, écrabouillés. J’ai vu le film d’une association : à Mantes-la-Jolie c’est la plus grande cité d’Europe, t’as 25 000 habitants dans la cité de Mantes-la-Jolie, et il n’y a pas de RER. Ils ne sont pas reliés à Paris, Mantes-la-Jolie ! Il y a le RER loin de la cité : donc, quelle est la volonté derrière ça ? La volonté, c’est de les tenir loin.
Patrick : Pour revenir à La Commune, un échec du film, c’est ça. Je m’occupais du casting, et on s’est posé la question de qui sont les communards aujourd’hui. On a été voir les associations qui sont le front de la lutte du mouvement des sans-papiers, des sans-logis, des sans-travail, etc. J’ai évidemment pensé aux jeunes des cités, et à Montreuil, il y a des cités, là où on tournait, qui ne sont pas loin. Donc j’ai été voir des animateurs sociaux, parce que je suis pas du quartier, donc des gens qui travaillaient sur place. C’est peut-être pas les meilleurs contacts pour aller dans les cités, mais bon – je n’avais pas le temps. Il y avait notamment des groupes qui faisaient des ateliers cinéma vidéo dans les cités, donc on a fait comme pour les autres, on a fait une projection d’un film. On a pris La Bombe parce qu’il était très court, qu’il bouge pas mal, c’est une attaque nucléaire sur l’Angleterre. Et au bout de cinq minutes, tous les jeunes se sont barrés, parce que c’était en noir et blanc, qu’il était en VO sous-titrée. Même Punishment Park, ça aurait été pareil. Après on a eu quelques jeunes qui sont venus, mais le deal, c’est qu’il fallait qu’on ait un éducateur pour trois jeunes, et donc ça ne correspondait absolument pas au dispositif du film. Donc on n’a pas réussi à avoir des jeunes des cités dans ce film. Il aurait fallu du temps…
Maya : C’est dommage parce que ça aurait été vraiment intéressant.
Patrick : Il aurait fallu avoir une préparation d’un an, implantée sur le quartier, pour parler du projet. Ça, on n’avait pas le temps. Et puis il y a un truc aussi : c’est que même si il y avait une conscience politique, ils font partie aussi de la population la plus formatée qui soit, surtout médiatiquement. Les gens à qui on parlait, leur première réaction c’est « est-ce qu’il y aura de la violence ?» C’est difficile dans un film qui refuse ça.
J’ai ressenti le film comme étant, si Peter Watkins devait être l’un des personnages, ce serait le reporter qui finalement jette l’éponge et dit : si je ne peux pas travailler selon mes convictions, alors je ne travaillerai pas, je ne cautionne pas l’information. À mon sens, les cartons informatifs du film incitent à la réflexion, sauf à un moment dans une séquence, un carton s’adresse directement au spectateur, en disant en substance « c’est là ce que les médias doivent craindre, lorsque la petite personne dans l’écran est remplacée par la multitude hors de l’écran ». J’ai presque été choqué, parce que ça a un côté extrêmement didactique. Qu’en pensez-vous ?
Patrick : À ce moment-là, on en est à la phase de remontage et de placement des cartons. Effectivement il a écrit tout un tas de cartons, et en fait il y en a deux où il place sa théorie sur les médias. Moi, personnellement, je me suis opposé à ces cartons, mais bon : c’est son film, et il a choisi de mettre ça. Je trouve que c’est redondant, mais bon…
Maylis : C’est son trip, à Peter. C’est pédagogique, les redondances. Cela dit, t’es pas le seul, y en a plein que ça a énervés.
Patrick : (après une pause) Ben voilà. Vous avez encore des questions ?
Ben je crois qu’on pourrait continuer toute la nuit comme ça, mais bon, il faut savoir s’arrêter…