Rares sont les occasions de voir les films de Peter Watkins en salle. Ses œuvres – révoltes politiques et insurrections formelles – ont depuis leurs sorties payé cher de s’attaquer aux pouvoir politique et médiatique en place.
Cinq ans après le Festival de La Rochelle, c’est le distributeur Shellac qui rend hommage au cinéaste, à travers la rétrospective de la presque totalité de sa filmographie, à l’exception des films Privilege et The Journey restées quasiment invisibles jusqu’à ce jour et dont les droits n’ont pu être récupérés.
Un cinéma maudit
Les films de Peter Watkins ont toujours dérangé le système en place, par leurs partis pris formels subversifs et leurs sujets ouvertement engagés (contre le nucléaire, les violences policières, pour la paix…). Culloden (Angleterre, 1964), son premier long métrage, et Edvard Munch (Danemark, 1973) seront les seuls de ses films qui connaîtront un succès populaire et critique et bénéficieront d’une exploitation et diffusion normale. À partir de son deuxième film, le metteur en scène subira systématiquement les attaques d’une partie de la presse et des médias, quel que soit le pays dans lequel il tournera : Angleterre, États-Unis, Suède, Norvège, Danemark, Australie, ou France.
La Bombe (1965), traitant des dangers des armes nucléaires, est interdit de diffusion par la BBC pendant plus de vingt ans suite à des pressions probables du gouvernement Britannique. Punishment Park, qu’il tourne aux États-Unis en 1970, est retiré des cinémas quatre jours après sa première à New York suite au déchaînement de la presse conservatrice américaine qui refuse ses critiques de la politique intérieure répressive du président Nixon. The Gladiators (1969), raconte la création de « Jeux de la Paix » à Stockholm ; combats mortels entre des soldats de différents pays pour détourner les pulsions agressives de l’Homme. Le film tourné en Suède est violement attaqué à sa sortie, comme le seront au Danemark The Seventies People (1974) et Evening Land (1976) abordant le suicide chez les jeunes et les méthodes répressives de la police Danoise.
En 1979, l’Institut Suédois du Cinéma lui retire un projet sur August Strindberg qu’il lui avait commandé (après deux ans et demi de recherches et d’écriture) mais qu’il finira par réaliser en 1992 dans le cadre d’un cours de production vidéo donné dans un lycée de Stockholm. The Freethinker (film de 4h35, divisé en trois parties) ne bénéficiera cependant par la suite d’aucun soutien pour sa diffusion. Entre 1983 et 1986, Watkins tourne dans douze pays différents The Journey, film pacifiste de 14 heures qu’aucune organisation télévisuelle publique n’acceptera de diffuser.
En 1999, La Commune marque son retour à une mise en scène qu’il avait abandonnée depuis 1994. Ce projet de 5h45 sera finalement diffusé entre 22h et 4h heures du matin par Arte, co-producteur qui refusera finalement, comme elle l’avait prétendu, de « bouleverser sa grille de programmes ». Depuis cette dernière expérience, le metteur en scène s’est éloigné du cinéma et vit en Lituanie mais préparerait, en ce moment, un projet de film en France sur les camps de réfugiés espagnols. Le cinéma de Peter Watkins, engagé et contestataire, a développé en 35 ans une force subversive qui a toujours été violemment reçue par les industries médiatiques en place qui sentaient que son cinéma ébranlait la toute-puissance de leur système de représentation et des présupposés sur lesquels ils s’appuyaient. Voyons quelques-unes des caractéristiques de cette alternative au modèle dominant.
L’invention du docu-fiction
Peter Watkins est l’inventeur d’un genre cinématographique, le docu-fiction, qui emploie dans des films de fiction, des formes habituellement associées au style documentaire (caméra portée à l’épaule, interviews, voix-off…). Ce mélange des genres n’est pas un effet de style gratuit mais un acte de création subversif et engagé contre une idéologie véhiculée par l’industrie des mass-medias et peu remise en cause ou de façon marginale. Le docu-fiction bouscule les concepts de « vérité » ou de « réalité cinématographique » tels que les ont instaurés les médias de masse (télévision en tête) et sur lesquels se basent leur crédibilité et leur légitimité. Pour mieux comprendre les différents enjeux des films de Peter Watkins, et ce qui leur donne leur caractère révolutionnaire, il faut évoquer les influences du cinéaste et le contexte dans lequel il émerge et contre lequel il s’inscrit.
Les influences du cinéaste
Peter Watkins naît en Angleterre en 1935 et, après des études de théâtre, réalise son premier court métrage en 1959 (The Diary of an Unknown Soldier). Son cinéma est influencé par le « free cinema », mouvement contestataire Anglais et le « cinéma direct ». Le free cinema apparaît au milieu des années 1950 et remet en cause les conventions techniques et sociales du cinéma commercial ; revendiquant l’originalité des sujets, l’indépendance vis-à-vis de l’industrie et un rapport différent avec le public. Ils décrivent une réalité sociale déniée (vie de sourds-muets…) et emploient des formes originales (gros plans, son direct). Le cinéma direct, appelé aussi cinéma-vérité, apparaît en 1960 et bouscule les traditions du genre documentaire en utilisant le son direct, un matériel léger tenu à la main pour mieux se fondre dans le réel, et se libérer des rigueurs traditionnelles du documentaire (agencement en parties structurées…). La production documentaire de ces deux courants bouleverse les codes établis du genre et interroge la notion de réalité cinématographique. Ces préoccupations sont centrales dans l’œuvre de Peter Watkins mais ce dernier en radicalise l’approche et la démarche. Ses sujets sont profondément militants, sa réflexion sur le rapport film/public se complexifie et le mélange des genres auquel il procède participe à une remise en cause beaucoup plus fondamentale des notions de réalité et d’objectivité documentaire.
Documentaire et fiction chez Peter Watkins
Les notions de réalité et fiction sont au cœur du cinéma de Peter Watkins. La différence entre documentaire et fiction paraît évidente au premier abord et se fait de façon spontanée. Cependant il devient très difficile de faire la part entre le « vrai » et le « faux » dès lors que ne sont plus respectées les conventions habituelles. Ainsi des téléspectateurs avaient été profondément choqués en découvrant les images de Punishment Park qu’ils prenaient pour un documentaire « réel ». Le mélange des genres chez Peter Watkins sert une volonté d’impulser une prise de conscience du public de la nature des images qu’il reçoit : « Si nous considérions que la manière dont nous – en tant que public – recevons les messages audiovisuels est, au moins en partie, dépendante de la forme et de la méthode de diffusion, alors soudain la question entière du réel et de la fiction deviendrait un véritable dilemme ! »
Ce détournement des codes classiques du langage cinématographique fait apparaître le degré de manipulation qui existe dans l’image cinématographique, manipulation incontournable, parfois consciente (issue d’une malhonnêteté journalistique) et toujours présente dans son absence de remise en cause (volonté des mass-medias de maintenir une domination et un rapport « hiérarchique » vers le spectateur). Par ailleurs, si de nombreux cinéastes documentaristes comme Frédéric Wiseman explicitent ce paradoxe (mentir pour dire la vérité), ils l’intègrent comme une fatalité et envisagent peu d’alternatives cinématographiques qui pourraient concilier l’artificialité et la subjectivité du dispositif aux aspirations de vérité et de transcription du réel. La proposition cinématographique de Peter Watkins amène des pistes de réponses singulières et déroutantes, parfois contradictoires et faisant usage des procédés qu’elle dénonce (en particulier dans son dernier film).
La perversion des codes documentaires
Une esthétique du réel
Culloden est marqué par un double choix ; contradictoire mais significatif : l’imitation du style documentaire et le refus de l’illusion de réalité, en jouant d’un faux amateurisme qui participe à créer une distanciation critique, rappelant en permanence la dimension artificielle de l’image filmique. Le film s’ouvre par l’arrivée de l’armée Anglaise en haut d’une colline. L’image, en noir et blanc, tremble (caméra portée), recadre maladroitement la scène puis zoome sur les troupes qui s’avancent, mais restent un moment dans le flou d’une mise au point mal réglée. Après plusieurs secondes de cette image hasardeuse, une voix-off déclare « Mercredi 16 avril 1746. Ceci est le bataillon avancé de l’armée anglaise. » Peter Watkins démystifie les procédés traditionnels du documentaire en les mettant en avant, parfois jusqu’à la caricature. Ces effets habituellement acceptés comme conséquences d’une prise sur le vif du réel, se trouvent ramenés à la dimension d’artifices esthétiques. Ainsi, flous, sautes de points, cadrages approximatifs, vent dans le micro (dans Punishment Park par exemple), présence d’archives (actualité radio dans La Bombe) ou d’interviews apparaissent, au bout du compte, comme les conventions d’un langage codifié, se protégeant de la remise en cause critique derrière le gage d’authenticité qu’ils induisent.
À l’opposé de la tendance globale des films de Peter Watkins, La Commune entretient avec les codes documentaires un rapport plus ambigu. Le film se compose de longs plans séquences de dix minutes qui se rapprochent plus d’une philosophie de la « vérité du plan » (un plan séquence n’a pas eu de coupe au tournage) que de la volonté de rappeler en permanence l’artificialité des images cinématographiques. La dénonciation des mass-medias, revendiquée pour la première fois directement dans le film, adopte une approche plus frontale, insistant sur des thèmes qu’un changement de narration permet désormais d’aborder (mensonges journalistiques, partis pris engagés…). Peter Watkins ne reprend plus les formes documentaires traditionnelles dans l’optique de les pervertir, mais aborde directement les thèmes sous-tendus dans ses précédents films (l’objectivité et l’analyse nécessaire aux journalistes, la question des formes télévisuelles à adopter, la considération du public…).
Par ailleurs, le film fait une utilisation parfois plus discutable de documents d’archives. Quelques photos des « grands hommes » qui parcourent la reconstitution (Thiers, Blanqui…) sont mises en parallèles avec les acteurs les interprétant, et la ressemblance physique d’être interprétée comme un gage discutable de respect historique, et finalement redondant vis-à-vis de la présence des commentaires informatifs. Ces cartons, dont la présence découpe les scènes du film, remplissent tout d’abord la fonction que tenait la voix-off des précédents films du réalisateur, en donnant des informations historiques datées, en produisant des sources de l’époque (surtout des journaux) ou renseignant sur le Monde contemporain (les sans-papiers de Montreuil). Par ailleurs, les coupures violentes qu’ils causent au déroulement de l’action brisent l’illusion de réalité et reprennent la fonction de distanciation évoquée dans ses précédents films.
Enfin, notons que leur utilisation dévie vers un engagement de plus en plus marqué au cours du film, certains allant même jusqu’à prendre parti (« Ceci est totalement faux », commentant les mensonges du présentateur TV) ou pire, vers l’assertion hiérarchique d’une vérité brute (« Ce dont les médias ont peur est de voir le petit homme du petit écran remplacé par une multitude de gens – par le public ») contre laquelle une partie de son cinéma mettait pourtant en garde.
Fiction documentaire
Peter Watkins dénonce l’utilisation par le cinéma documentaire d’artifices fictionnels qui altèrent inconsciemment le jugement par une adhésion émotionnelle. Cette contestation passe par un travail similaire de déconstruction des procédés fictionnels en jeu. Cette dimension subversive est moins immédiate et apparaît plus lors de l’analyse qu’à la vision des films : c’est là le paradoxe que l’artifice fictionnel est tant passé dans les habitudes de réception, qu’il en devient limpide, « transparent ». Il est nécessaire d’émettre une réserve sur l’interprétation à porter sur l’emploi de ces procédés, parfois explicitement mis en valeur (faux raccords, arrêt sur image, caméra subjective, etc) mais souvent utilisés malgré tout pour donner au film une fluidité minimale (agencement des séquences par raccord sonores, ellipses permettant de faire progresser la narration, etc) et éviter de pousser la démarche du réalisateur vers une dimension trop expérimentale.
Peter Watkins prend garde, dans les scènes les plus violentes où l’implication émotionnelle risquerait de trop « réduire l’espace de réflexion », d’introduire des éléments de rupture et de distanciation comme un arrêt sur image, sur un soldat anglais blessé. Cet arrêt coupe brutalement le déroulement de l’action et de la narration (la bande son, complètement vide, contrastant violemment avec le vacarme précédent) et amène une dimension poétique et abstraite, figeant l’action hors de son contexte et lui conférant une portée symbolique (comparable à « l’instant décisif » de Cartier-Bresson). De même, Peter Watkins déconstruit l’unique séquence en caméra subjective en poussant le procédé jusqu’à la caricature (respectant le point de vue de l’Écossais mourant, transporté par des soldats anglais, jusqu’à filmer la scène à l’envers).
La Commune est, de ce point de vue, un film plus problématique dans son utilisation d’un montage productif de sens, visant à ridiculiser les « ennemis » qu’il dénonce. Peter Watkins tourne le journaliste de la télévision versaillaise en dérision (certains plans n’ont d’autre objectif que de le montrer hébété et ridicule), et provoque son antipathie par des artifices de montage discutables (mise en parallèle des propos du journaliste hostile à la Commune en regard des souffrances des communards) et relevant plus des outils utilisés par un cinéma de propagande. De la même manière, Peter Watkins tourne en dérision Bismarck en présentant trois photos d’archives du Prussien où son air grave, souligné par des plans de plus en plus gros de ses yeux, augmente le côté ridicule. Par ailleurs, le témoignage d’une bourgeoise prussienne interviewée n’est pas traduit ou sous-titré en Français, provocant un effet comique (elle s’énerve toute seule sans que l’on comprenne ses paroles) aux objectifs questionnables (mépris d’un propos sans intérêt ?).
La place de la caméra
Peter Watkins tente d’instaurer un rapport différent du public avec les images et le cinéma, et recherche une narration différente. Le cinéaste emprunte le point de vue d’un reporter dont il cherche à questionner les pratiques et tente donc de concilier deux partis pris opposés ne pouvant coexister sans être « trahis ». Le respect pur du point de vue et des méthodes du reporter lui permettrait difficilement de questionner la légitimité des codes existants : un « vrai » documentaire aurait, par exemple, supprimé de son montage final les séquences techniquement les moins réussies qui rappellent au spectateur la présence du dispositif filmique. À l’opposé, le refus complet de parodier les formes qu’il dénonce (donc de les reprendre) l’empêcherait d’inscrire son propos dans le paysage médiatique de son époque. La Commune illustre bien ce point ; le film, n’imitant plus les formes documentaires strictes, doit compenser ce choix par une mise en scène à l’image des journalistes de la télévision.
Le narrateur de Culloden n’est jamais visible à l’écran mais son existence est suggérée (de nombreux critiques décrirons à tort un cameraman réalisant ses interviews micro au poing) sous formes de traces visuelles (caméra portée, regards caméra…) ou sonores (conversation avec les protagonistes, exclamations du cameraman à la première personne…). Le choix d’un narrateur/personnage (pour reprendre les définitions de la littérature) fait cependant apercevoir ses limites déjà dans Culloden (comment interpréter la multiplicité des points de vue lors de la bataille, par exemple) et de façon encore plus évidente dans La Bombe (l’équipe de reporters devrait, en respectant jusqu’au bout la logique, mourir au moment de l’explosion).
Finalement, le point de vue global peut être considéré, d’une façon peu rigoureuse, comme celui d’un protagoniste de la fiction (prenant corps dans cette dernière) qui interpréterait un journaliste élaborant un reportage, et qui serait à ce titre dirigé par le cinéaste. Cette hypothèse, un peu abstraite, irait dans le sens d’une partie des choix de narration de La Commune, qui semble vouloir s’affranchir de contraintes l’empêchant d’aborder d’autres thèmes que formels (le narrateur/reporter étant nécessairement honnête puisque rien ne peut contrebalancer son point de vue et devant adopter sur son sujet un regard neutre – Culloden – ou allant dans le sens de Peter Watkins – Punishment Park).
La Commune propose en effet une solution aux oppositions qu’entraînait la narration des précédents films, et cherche à concilier le point de vue d’un narrateur inscrit dans l’action au regard, plus large, d’un auteur immatériel. Le film adopte une narration complexe, en suivant principalement deux journalistes de la télévision communale dans leur travail d’interview et d’investigation. Peter Watkins intègre dans ce film anachroniquement les mass-medias contemporains aux événements de 1871 ; opposant une chaîne de télévision « Versaillaise », proche du pouvoir, à la chaîne communale des révolutionnaires. En représentant des narrateurs là ou ses autres films ne leur donnaient de consistance qu’indirectement, Peter Watkins se donne la possibilité de retrouver le point de vue de ses précédents films mais surtout de s’en dégager.
À partir du moment où les journalistes terminent leurs reportages, la caméra, qui continue de « tourner », cesse d’être la retranscription du point de vue d’un reporter de télévision (elle n’est plus une caméra de reportage télévisé filmant en direct) pour en retrouver un plus proche de la fiction. La caméra entre et sort donc de la diégèse dans un même plan, en fonction de l’activité des journalistes. Lorsque les individus parlent à leurs micros, le point de vue est celui d’une caméra de télévision, lorsque les journalistes ont terminé leurs reportages mais que l’on entend toujours le son, le point de vue bascule ailleurs.
Cependant, la caméra n’adopte pas réellement une même place qu’en fiction. En effet, même sans les journalistes, elle continue d’exister « diégétiquement » (les communards s’adressent toujours à elle) et finalement, ce point de vue serait plutôt celui de Peter Watkins, auteur traversant des lieux (de Versailles à Paris) et des époques (le premier plan livre le processus de création du film, présente l’équipe technique et les artifices du tournage) qui se mélangent pour former un univers complexe. L’auteur finit donc par affirmer une présence effacée jusqu’à maintenant, à révéler sa place centrale dans le dispositif et revendiquer une certaine subjectivité de point de vue. La Commune semble donc emprunter une voie différente des précédents films du réalisateur, et trouver sa portée contestataire non plus dans sa dénonciation des formes documentaires, mais par la proposition d’une alternative à ces formes. Finalement, le film apparaît comme l’aboutissement de sa recherche, en gestation dans toute sa filmographie, d’un rapport à la réalité cinématographique nouveau et d’une narration qui transformerait la relation traditionnelle du spectateur envers les films.
La proposition cinématographique de Peter Watkins
Peter Watkins poursuit les recherches entamées par des mouvements comme le Free Cinema ou le cinéma direct, dans la construction d’un rapport nouveau avec le public, préoccupation au centre des recherches formelles du réalisateur et de ses réflexions sur les médias et le style documentaire. Culloden et Punishment Park débutent sans générique ni cartons d’aucune sorte. Les films s’ouvrent brutalement et refusent de placer le spectateur dans un schéma prévisible, de le prendre en charge en l’installant dans un confort de réception au fonctionnement prédéfini (qu’il s’agisse de documentaire ou de fiction). Le spectateur est mis face à des images et des choix esthétiques déroutants et maintenant l’ambiguïté sur la nature des images qui sont présentées : il ne peut pas rester passif devant ces images et doit produire une réflexion intellectuelle pour trouver sa place dans un film où l’aspect documentaire contraste avec la nature fictionnelle des images données à voir. Cette recherche de déstabilisation sera reprise, avec plus ou moins de variations, dans la majorité des films du cinéaste. Il pourra alors s’agir non plus de l’utilisation d’un prégénérique déroutant, mais de l’apposition de séquences formellement contradictoires ; Peter Watkins faisant succéder, à une séquence d’ouverture dans le style documentaire (cartons ou voix-off replaçant le film dans son contexte politique, cartes documentées, extrait d’article de loi…), une scène à l’esthétique purement fictionnelle.
La deuxième séquence de Punishment Park se pose, par exemple, en contrepoint d’une ouverture explicative, par un usage d’angles de prise de vue (depuis le capot d’une jeep) ou de raccords (plans d’ensemble lointains de la voiture raccordée à des gros plans des conducteurs) impossibles en documentaire. Cependant, il est intéressant de remarquer combien l’approche de Peter Watkins se transforme avec La Commune qu’il fait débuter de façon traditionnelle par un générique mettant au jour les conditions de production (« Arte / 13 Production présentent et le Musée d’Orsay présente ») puis d’un carton présentant le titre et donnant des repères historiques. L’ouverture du film ne se construit plus autour de la recherche de déstabilisation du spectateur mais au contraire sur une mise en avant explicite du dispositif filmique et de ses contraintes de production (au sens large). Ce choix soulève un paradoxe sur lequel il est nécessaire de s’arrêter. Peter Watkins explicite les artifices du dispositif mis en place et se livre à une démystification de son propre cinéma (un cinéma de démystification des images médiatiques).
Cependant, on peut s’interroger sur l’ambiguïté d’une telle ouverture. En effet, la démystification causée dans les autres films par des artifices cinématographiques (faux raccords, jump cuts..) se voit ici réappropriée par la narration et intégrée paradoxalement dans le processus du film. Cette ouverture procure donc l’inverse de l’effet souhaité et est explicitée pour mieux être oubliée. En outre, elle assigne au spectateur une place, certes peu conventionnelle, mais plus définie et induit avec lui un rapport plus hiérarchisé (ce qui était suggéré dans les autres films est maintenant révélé : « Ce film traite de la Commune de Paris et des mass-médias dans la société d’hier et d’aujourd’hui. »).
D’une façon générale, les films de Peter Watkins établissent un rapport différent avec le public où ce dernier n’est plus considéré comme un récepteur passif à qui l’on doit livrer des vérités simples mais un individu intelligent produisant par lui-même une pensée sur les images qui lui sont présentées et les modes de représentation traditionnels. Cette indissociable union entre le discours contestataire et le mode de représentation qu’il nécessite est une caractéristique fondamentale du film militant « qui opère une double action sur son insertion idéologique ; une insertion directement politique, […] par le traitement de sujets explicitement politiques […] obligatoirement lié, pour avoir quelque efficience, à une déconstruction critique du système de la représentation. […] Seule cette double action a quelque chance d’être opérante contre (dans) l’idéologie dominante : action double et indissoluble, économique-politique/formelle. »
Le cinéma de Peter Watkins semble atteindre, avec La Commune, un certain aboutissement. Le film pousse, plus loin qu’auparavant, les recherches du cinéaste d’une forme de narration qui induirait avec le public un rapport alternatif. Le dernier film du cinéaste propose un dispositif cinématographique tendant vers une abstraction qui travaille contre l’illusion de réalité documentaire, et rend donc moins utile la recherche de solutions formelles mettant en avant l’artificialité de cette forme documentaire et participant au maintien d’une distanciation critique. Par ailleurs, le film semble achever une recherche, entamée avec Punishment Park, d’un dispositif qui permettrait un discours sur le monde par un processus qui pourrait se révéler dans sa globalité et, plutôt que de la nier ou la minimiser, intégrerait l’artificialité qui le caractérise comme un paramètre intégrant de son processus d’élaboration.