Il y a trois semaines était diffusé sur les écrans et sur Internet un film engagé pour la cause des sans papiers. Signé par plus de 300 cinéastes, ce court métrage de 3 minutes, « Laissez les grandir ici », présente sobrement un groupe d’enfants de sans papiers menacés d’expulsion témoignant de leur quotidien.
Le film et les manifestations qui l’entourent (pétition, meetings…) rappellent que le cinéma sait créer dans l’espace public des sphères d’engagement et de réflexion et contribuer à sa manière à faire progresser le débat politique.
Jean-Henri Roger est l’un des cinéastes à l’origine de ce mouvement.
Comment est né le mouvement « Laissez-les grandir ici » ?
Beaucoup de cinéastes étaient déjà individuellement impliqués dans le soutien des sans papiers ou étaient membres du Réseau éducation sans frontières (RESF).
Au moment de l’histoire de Cachan il y a eu un mouvement de solidarité : on a participé à un grand parrainage au Bataclan mais, après ça, on s’est rendus compte que la question des migrants avait complètement disparu du débat politique, ou était posée uniquement sous forme démagogique.
À partir de là on a voulu essayer de faire quelque chose. On s’est réunis et assez vite est née l’idée de faire un film en s’appuyant sur l’équipe de RESF qui avait pris contact avec nous.
Après beaucoup de débats – parce qu’on avait peur d’utiliser des enfants – on a décidé de faire un film unique qui soit très simple, efficace et percutant.
On a pris tout de suite contact avec les salles Art et essai, les salles de recherche etc. pour savoir s’ils nous aideraient à le diffuser et quand on a senti que ça pouvait se faire on s’est mis au boulot.
Qu’est ce que le réseau RESF exactement ?
RESF est un réseau – et pas une organisation – né dans les écoles pour protéger les enfants de sans-papiers. C’est un truc surréaliste : on n’a pas le droit d’expulser les parents sans les enfants. Pour expulser les parents il faut expulser les enfants en même temps. RESF est né il y a deux ans sur les premiers cas d’enfants qui étaient scolarisés et qui allaient être expulsés parce que leur parents étaient sans papiers.
C’est quelque chose de très local et plutôt intéressant parce que c’est une vraie résistance civile qui regroupe des gens complètement différents. Ça va du syndicaliste à la mère patronnesse. Ils sont dans toute la France : je ne crois pas qu’il y ait eu une école où il y avait une menace d’expulsion sans qu’un comité local ou un réseau RESF ne soit créé.
Combien étiez-vous à porter le projet « Laissez-les grandir ici ? »
Un noyau dur de sept ou huit cinéastes avec autour une quinzaine qui ont travaillé à la réalisation du film. Mais on a tout de suite prévenu les autres, c’est-à-dire qu’on n’a pas fait le film d’abord avant de les mettre au courant. Les gens qui ont signé le film ont été impliqués dès le début, mais nous ont fait ensuite confiance. C’est important parce que ce film, avec les copies, c’est un budget de 20~000 euros qu’on a réussi a trouver en 15 jours.
Y a-t-il eu des discussions sur la forme qu’il devait adopter ?
Contrairement à ce qu’on croit, on a décidé très vite de la forme. Il y avait l’exemple de celui de 1997 où certains d’entre nous avaient déjà participé. L’idée était qu’il fallait avoir une forme très simple et que ce soient les enfants qui s’adressent aux gens de manière directe.
Le vrai débat était comment arriver à cela. Le choix qui a été discuté est qu’on ne voulait pas écrire un texte qu’on aurait mis dans la bouche des enfants.
Évidemment on n’a pas fait de casting : c’est le réseau RESF qui nous a présenté les enfants qui étaient prêts à venir, à travailler et à tourner ; ce qui n’est pas évident et comporte aussi un risque.
On a fait des ateliers d’écriture avec les enfants où d’abord ils nous ont expliqué leur histoire à eux. Certains d’entre nous ont retranscrit ce qu’ils avaient dit et on a travaillé jusqu’à ce que ça devienne leurs mots à eux, leur texte. Et le nôtre aussi.
On ne va pas faire de la démagogie : il y a un travail d’écriture mais qui a été fait avec les enfants. C’est un texte qu’ils avaient écrit avec d’autres mots.
Trois semaines après sa diffusion, y a-t-il eu des retombées hormis la pétition qui compte maintenant plus de 20~000 signatures sur le site ?
Signatures auxquelles s’ajoutent les signatures papier qui seront comptabilisées à la fin du mois.
Il y a eu des conséquences immédiates : le film a été diffusé sur France 3, a fait la une de Libération et de l’Humanité, a été en page 3 du Monde ; le journal de France 2 en a parlé ; Sarkozy a été interpellé directement sur Canal +… et c’était ça le but: créer un espace dans lequel cette question-là pouvait être posée, si possible pour la résoudre d’une manière correcte.
Notre rôle a été très simple et très modeste là-dessus : on s’est servis de notre situation de cinéaste pour participer à créer un espace. Et je pense qu’on y est arrivés : cela ne veut pas dire que la question va être résolue mais on est arrivés à créer cet espace-là.
La presse a bien joué son rôle jusqu’ici, mais n’avez-vous pas peur d’un relâchement sur le long terme ?
On n’est pas une organisation politique donc j’espère que non mais je ne peux que l’espérer. La seule chose c’est qu’on n’a pas l’intention de lâcher le morceau. Il y a des choses qui, peut-être, se préparent avec des musiciens pour faire quelque chose de similaire et maintenir la pression sur cette question. Mais il ne faut pas qu’on se prenne pour ce qu’on n’est pas. Le collectif de cinéastes qui a fait et signé ce film n’est pas l’instance politique de ce pays.
Ce mouvement rappelle beaucoup ce qui s’était passé en 1997 avec le « Manifeste des 66 cinéastes ». Rétrospectivement, quelles ont été les conséquences de ce mouvement ?
C’est très dur à quantifier : ce qu’on peut dire c’est que ça a protégé – c’était devenu très dur en 1997 avec les lois Pasqua – un certain nombre de sans-papiers qui étaient menacés d’expulsion. Au niveau de la réalité politique ça n’a pas trop changé puisque dix ans après on est toujours là. Cela veut dire que le problème n’a toujours pas été résolu.