La compétition de la trente-deuxième édition du Festival du Film d’Histoire de Pessac présentait, comme c’est souvent le cas lors de festivals thématiques, le défaut de projeter des films parfois sélectionnés pour leur seul sujet. La Conférence de Matti Geschonneck en est le parfait exemple, incarnant la tendance d’un certain cinéma « mémoriel » mû par la seule ambition de dépeindre, de manière fidèle, un événement historique – ici la conférence de Wannsee, au cours de laquelle une poignée de responsables du parti nazi et de ministres allemands ont décidé, en janvier 1942, de « la solution finale ». Il ne s’agit ni plus ni moins que d’une mise en images, très propre sur elle, du compte-rendu de la réunion, fragmentée en trois actes évoquant une vague structure théâtrale, associés à trois espaces différents du bâtiment dans lequel se déroule la rencontre. Malheureusement, la fadeur de la reconstitution ne confère aucune force à l’épouvantable propos qu’elle illustre ; plus encore, elle noie quelque peu son intensité derrière de grossiers artifices de mise en scène et des tours de passe-passe scénaristiques. Il aurait été autrement plus intéressant de questionner davantage la froide technicité de ces débats, qui constitue véritablement l’enjeu vertigineux de cet épisode – encore eut-il fallu que le film prenne une certaine distance avec le récit historique qu’il met en scène.
Souvenirs de l’Histoire…
Alain Ughetto reconstitue quant à lui dans Interdit aux chiens et aux Italiens, le film le plus convaincant de la compétition, le récit de sa grand-mère et par extension de sa famille franco-italienne, dont la vie est chamboulée par différents événements historiques (la première guerre italo-éthiopienne, puis les deux guerres mondiales). Pour ce faire, le réalisateur télescope de l’animation avec des images en prises de vues réelles. C’est ainsi qu’il parasite les séquences de flashbacks, filmés en stop-motion, en infiltrant sa main dans le champ pour y introduire des accessoires (dans une séquence très drôle, il donne par exemple un outil manquant à l’un de ses personnages en train de bricoler), allant jusqu’à dialoguer avec les personnages animés. Faits de pâte à modeler, ils sont entourés par des décors fabriqués à partir d’éléments naturels reconnaissables, qui détonnent dans les plans : un train miniature, des marrons, un brocoli, des morceaux de charbon… Au-delà de l’intérêt que produit cette confrontation visuelle, c’est dans ce qu’il raconte de la matière des souvenirs que le film se révèle tout à fait passionnant : le mélange des formes devient la métaphore de l’entrechoquement des récits et des manières de les raconter, les trajectoires personnelles et les événements de l’Histoire se rejoignant pour former un récit unique. Le film d’Ughetto entretient à ce titre d’étonnants rapports avec le Pinocchio de Guillermo del Toro, qui sortira sur Netflix le 9 décembre. Le réalisateur mexicain propose une relecture du célèbre conte en l’inscrivant dans le contexte historique de la Seconde Guerre mondiale, là aussi du côté italien. Les deux films travaillent ce même enchevêtrement des tragédies familiales face aux bouleversements de l’Histoire : Ughetto conte la guerre à travers les yeux d’expatriés italiens en France, tiraillés entre les deux camps ennemis. Deux pays ennemis, qui sont pourtant leurs deux patries : « on est pas d’un pays, on est de son enfance », épiloguera le réalisateur par la bouche d’un de ses personnages.
… histoire de se souvenir
Terminons par évoquer le beau film de Li Ruijun, Le Retour des hirondelles, reparti du festival avec le prix du public et du jury étudiant. Glaçante plongée dans la Chine rurale, le film y dépeint le décalage entre une urbanisation à bâtons rompus et une campagne où les marques d’une certaine modernité semblent déjà désuètes (une BMW poussiéreuse, des immeubles neufs à moitié délabrés). Le récit se construit autour du quotidien matrimonial d’un agriculteur et d’une femme sans emploi, rejetée par sa famille pour sa simplicité d’esprit. La singularité de ce couple tient dans leur émerveillement continu devant l’infiniment petit : une décoration dans leur maison de fortune, la naissance de poussins, la plantation de semis… Le respect qui naît entre ces deux personnages, méprisés de toute part — et qui prolonge celui qu’ils portent à la terre, aux animaux, à la nature en général — semble s’opposer à la violence sociale à laquelle ils font face. Plaçant de la sorte leurs rapports au centre du film, le réalisateur pose aussi la question de l’invisibilisation de populations dont l’époque contemporaine voudrait déjà pouvoir parler, au nom du progrès, au passé.