« Je déclare la mort du cinéma ». Rires amusés dans la salle. Dix secondes de silence pour se recueillir. « J’annonce désormais sa renaissance. » Applaudissements du public. C’était assurément l’un des grands moments du festival Lumière édition 2017, qui aura vu récompensé Wong Kar-wai lors d’une cérémonie touchante. Ces quelques mots prononcés par le cinéaste Nicolas Winding Refn servaient à annoncer l’ouverture de son futur site de streaming en ligne, totalement gratuit et sans publicité. L’allocution du cinéaste a beau paraître racoleuse, ce n’est pas un hasard si elle a été prononcée ici même à Lyon, lors d’un festival qui célèbre la toute puissance de la salle de cinéma. En outre, elle nous permet même de réfléchir à la place du festival dans la diffusion des œuvres cinématographiques, à une époque où l’accès libre aux films sur Internet et le tarif prohibitif des salles pousse le consommateur à opter pour son écran personnel. Bilan d’une neuvième édition riche en rencontres et curiosités.
Face à face
On le sait, le Festival Lumière est devenu en quelques années seulement une institution. A la fois cinéphile et cinéphage, sachant marier, dans une même programmation, chefs-d’œuvre intemporels et nanars décomplexés sans prétention aucune, il a une nouvelle fois su nous régaler avec des masterclasses inoubliables. On se rappellera longtemps William Friedkin détaillant sa rencontre cocasse avec Linda Blair, la jeune actrice de L’Exorciste, ou l’admiration d’un Guillermo del Toro pour Michael Mann, lorsque les deux se retrouvent à échanger devant un public comblé, juste avant de (re)voir Heat.
Le Festival Lumière est avant tout vécu comme un moyen d’approcher physiquement les personnalités, de les entendre s’exprimer et de les voir agir afin de mieux confronter notre vision du mythe cinématographique à l’être de chair et de sang qui se tient face à nous. Si l’on avait pu, il y a un an, se délecter des bons mots de l’auteur-scénariste-parolier Jean-Loup Dabadie ou encore découvrir les méthodes de cinéastes de Gaspar Noé et de Park Chan-wook, on constate avec grand plaisir que les femmes sont bien plus mises en avant cette année. C’est en voyant Tilda Swinton qui avoue sa grande passion pour le cinéma de Bresson ou Anna Karina qui évoque ses débuts tourmentés avec Godard que l’on se rend compte que de tels moments sont précieux.
À travers ces moments d’intimité entre le public et une personnalité, le festival offre ce qu’il a de mieux. À côté, les cérémonies d’ouverture et de clôture ne sont finalement qu’un enrobage, un défilement sur le tapis rouge évoquant toujours un peu plus les liens proches qu’il entretient avec le festival de Cannes, par le biais du directeur de l’Institut Lumière, Thierry Frémaux (également délégué général du Festival de Cannes). Si la connivence des deux a toujours été évidente, les présences de Robin Campillo à la cérémonie d’ouverture et de Ruben Östlund pour l’avant-première de The Square, tous deux auréolés à la Croisette cette année, respectivement du Grand Prix et de la Palme d’Or, viennent confirmer plus que jamais que l’actualité du cinéma peut parfaitement s’inscrire dans un programme lié à son histoire.
Correspondances et mises en abyme
Ce qui rend le festival Lumière si unique est son absence de toute compétition ou palmarès, puisqu’il s’évite dès lors de privilégier une œuvre ou une personnalité par rapport à une autre. Partant du constat que chacun vient sur un pied d’égalité, tout le plaisir ressenti à Lumière se fera grâce aux nombreux discours, partages et interactions qui se créeront. En effet, chaque film projeté est présenté par un invité, qu’il soit lié directement ou non à celui-ci, ce qui développe souvent un supplément de compréhension indéniable. À titre d’exemple, Alfonso Cuarón a introduit La Formula Secreta, film expérimental mexicain de Ruben Gamez dont les fulgurances formelles sidèrent autant qu’elles déroutent. Cette présentation convoque dès lors tout autant le réalisateur que son rapport personnel au film, ainsi que son rapport à sa propre cinéphilie. De même, la narration déstructurée voulue par Gamez converse avec l’histoire d’une société toute entière, dans un pays que connaît Cuarón et qu’il critique lui aussi ouvertement. En allant encore plus loin, cette mise en abyme entre le discours du présentateur et celui du film permet même de mieux saisir le parcours cinématographique de Cuarón, si le spectateur choisit d’y voir des parallèles ou non. Le principe est vertigineux et le plaisir de visionnage n’est dès lors plus seulement lié à un simple objet mais à tout le dispositif qui l’entoure.
Dans le même ordre d’idée, cette neuvième édition n’est pas seulement filmique, mais devient également un spectacle musical à part entière. Parrain de cette année, Eddy Mitchell a interprété La Dernière Séance en chœur avec le public lors de la cérémonie d’ouverture. Cette dernière aura vu également défiler un show de mariachis assez maladroit dans la pratique, voulu par Thierry Frémaux afin de rendre hommage aux récentes catastrophes qu’a subies le Mexique. De son côté, Charles Aznavour a présenté Un taxi pour Tobrouk, et l’on a pu découvrir Metropolis dans sa version de 1981, mise en musique et colorisée par Giorgio Moroder. Si l’on ajoute à cela les traditionnels ciné-concerts des classiques du burlesque (Harold Lloyd, Buster Keaton pour la deuxième année) accompagnés à l’orgue et projetés à l’auditorium Maurice-Ravel, ainsi que l’interprétation du thème d’In the Mood for Love au violoncelle lors de la cérémonie de remise du prix par Sonia Wieder-Atherton, on peut sans conteste affirmer que cette édition veut être vue comme un show à l’américaine, un spectacle populaire total.
Conversation futur, passé, présent
On comprend donc mieux ce qui a poussé Nicolas Winding Refn à reprendre cette maxime maintes fois utilisée sur la « mort du cinéma ». En parallèle de son annonce de création d’une plate-forme de streaming sur laquelle il diffusera un film par mois (un film oublié, dont il aura dirigé la restauration), il s’autoproclame « troisième frère Lumière ». Que faut-il comprendre de cette affirmation ? Si le futur du cinéma est de renouveler son mode de diffusion en rendant, à plus ou moins long terme, tous les films disponibles en ligne, on peut se poser la question suivant : que reste t‑il comme place pour un festival de films anciens ? En rappelant précédemment ce qui fait la particularité du festival Lumière, on comprend que ce lieu incontournable de la cinéphilie mondiale n’est pas uniquement là pour de la diffusion, mais bel et bien pour de la réappropriation autour des films. Regarder un film, le commenter, le remettre dans son contexte, prendre du recul par rapport à celui-ci, confronter son point de vue, le ramener à toute l’histoire du cinéma : toutes ces actions réunies en un seul lieu font l’identité du festival. En cela, les réflexions proposées autour des œuvres peuvent relever tout autant de l’illustration que de l’exégèse, amenant chaque spectateur à repenser son propre rapport au cinéma. Voir un film, c’est aussi et surtout en parler.
Pour toutes ces bonnes raisons, le festival confirme qu’il est essentiel qu’il continue à exister, car il ne propose pas une expérience passive face aux films qu’il diffuse. En matérialisant des idées, des personnes, en rendant tangibles les rencontres opérées entre le public et ceux qui participent à l’expansion du cinéma en tant que culture, le festival propose un espace scénique unique où tout semble à portée de main. Rappelons nous l’année 2013, lorsque Quentin Tarantino et Tim Roth s’étaient rendus disponibles à la Plateforme, rendez-vous incontournable des soirées nocturnes liées à l’événement, et avaient conversé avec toute personne les approchant. À l’heure du tout dématérialisé, le festival remet de l’âme et du contenu dans l’acte de visionnage. À sa manière, il est devenu classique dans son fond comme dans sa forme. Rendez-vous pris pour la dixième année.