Les tentatives françaises récentes dans le domaine du fantastique sont rares. Totalement ratées (Belphégor, Humains…) ou hermétiquement repliées sur elles-mêmes (Les Revenants de Robin Campillo), elles n’ont jamais vraiment convaincu le public, encore moins la critique. La Femme invisible d’Agathe Teyssier tente une approche ludique et ironique du motif surnaturel en l’amalgamant à une tradition très reconnaissable, celle du naturalisme social et psychologique à la française. Naviguant entre ces genres sans s’amarrer définitivement à l’un ou l’autre, le film souffre d’un manque de décision et d’un trop-plein d’intentions.
Julie Depardieu en slip rouge et collants bleus sur les toits de Paris, admettons que l’image est intrigante. On pense à un nouveau remake des Vampires de Feuillade, ou à une plaisanterie. Passé la prime surprise, on se retrouve devant un objet hybride : une curiosité de foire passée à la moulinette du carcan psychologisant à la Jaoui-Bacri. Lili est une femme si effacée qu’elle en devient invisible : involontairement et aux plus mauvais moments, elle se soustrait à la vue de ses interlocuteurs, que ce soit lors d’une importante audition ou au milieu d’une réunion familiale. Seuls les spectateurs continuent à distinguer la lumière réfléchie sur son corps et ses habits. Inutile de mentionner alors la réputation que la pauvre se coltine auprès de son entourage…
Apparemment insouciante et inconséquente, Lili ronge son frein dans la plus profonde mélancolie. Triste sort que celui d’une super-héroïne ne sachant quoi faire d’un pouvoir qu’elle ne maîtrise même pas ! C’est au contact d’un médecin spécialiste des méta-matériaux qu’elle va reprendre espoir et s’astreindre à un traitement drastique : oublier ses rêves et ses ambitions – facteurs de stress et d’anxiété – pour se fondre dans la masse et calmer ainsi les éruptions incontrôlées d’invisibilité. Pour vivre heureux, il ne s’agit pas de vivre caché mais comme tout le monde, derrière un bureau, en tailleur, en couple. La métaphore n’est pas bien fine mais elle a le mérite de la clarté, le plus difficile n’étant pas de deviner la conclusion de la thérapie…
Derrière le paravent fantastique se niche donc une réflexion sur le rapport à soi, au monde, sur la quête d’identité et les interactions sociales. Outre le caractère redondant d’un tel questionnement – a fortiori dans un film de super-héros – on peut regretter que celui-ci happe autoritairement toutes les digressions du récit, à tel point que l’aspect surnaturel de l’histoire se résume plus ou moins au synopsis, ou du moins à un enrobage plastique de situations somme toute communes (incommunicabilité dans le couple, querelles de familles…). Sans être question de tirer hâtivement des conclusions générales, cet état de fait semble être symptomatique du traitement du genre dans le cinéma français.
En n’osant jamais s’emparer du potentiel et des capacités du genre (l’horreur, la science-fiction, le thriller, le fantastique…), la plupart des films français se situent à la lisière de ceux-ci, comme s’ils en avaient peur ou ne s’estimaient pas capables de jongler avec leurs règles. D’aucuns répondront que c’est un moyen subtil de ne pas s’enferrer dans la conformation propre aux genres… d’autres répliqueront que c’est surtout l’excuse pour n’utiliser que les artefacts les plus évidents du genre, sans chercher à aucun moment de la travestir ou de simplement jouer avec eux. L’exemple de La Femme invisible fait pencher l’analyse vers le deuxième versant, celui d’un certain cinéma pudibond se pinçant encore le nez devant ce qui ne relève pas d’une antique conception de la qualité française. Dédaigner le genre pour le ramener vers un terrain connu et rebattu n’est pas faire preuve de discernement, c’est surtout la marque d’une forme de conservatisme fainéant.
Le constat peut paraître sévère mais il est en adéquation avec la tenace frustration qui habite le spectateur français en quête d’un seul vrai bon film de genre hexagonal, la plaie du malade Ricky n’étant pas encore totalement refermée. Que faire alors ? Se contenter d’un propos pas inintéressant mais redondant sur la notion de famille et d’héritage social comme le propose le film ? On se souvient du talent de Bergman pour imprimer à ses films un soubassement irrationnel (Fanny et Alexandre ou Cris et Chuchotements) à des interrogations terrestres. On en est loin, bien sûr. Quelques scènes font cependant mouche, grâce surtout à Julie Depardieu, pas si mauvaise en ersatz de Fantômette, et à des situations comiques étonnamment drôle. Tout cela se passant, une nouvelle fois, dans la plus grande confusion des genres.