Le saviez-vous ? Le monde est un endroit difficile. L’amour, la vie à deux, élever un enfant, tout ça, c’est compliqué. Et puis la mort, ça fait peur, et la vie est tellement fragile, un claquement de doigts et hop, tout ça peut s’arrêter subitement. Mais bon, la famille, c’est important, les amis aussi. Et l’art, la littérature, la musique, les pulls en laine et les appartements bien décorés, ça aide à faire face aux coups durs. Si, en plus, tout le monde est beau et chic, alors là…
Ce discours édifiant est, en substance, celui tenu par Mélanie Laurent dans son premier long-métrage, Les Adoptés. Comédienne populaire dont la filmographie compte déjà quelques beaux succès publics (Je vais bien, ne t’en fais pas, Paris, Le Concert) et/ou critiques (Inglourious Basterds, Beginners), jeune femme bien de son temps qui cultive son côté touche-à-tout (outre ce premier essai derrière la caméra, elle a également enregistré un album pop-folk), Mélanie Laurent est une enfant gâtée du show-biz, une petite fiancée des Français comme il en tombe deux ou trois par décennie, une bonne cliente des papiers glacés qui cultive avec un mélange d’assurance et de discrétion son image de chouette nana intelligente, sympa et bien dans ses baskets. Pour son passage à la mise en scène, Mélanie Laurent a choisi un sujet difficile, plutôt raccord avec une certaine tendance du cinéma hexagonal à l’introspection et à l’exploration de l’intime. L’ambition est grande : raconter, en variant les points de vue, le quotidien de deux sœurs, la première (Marie Denarnaud) ayant été adoptée dès son plus jeune âge par la famille de la seconde (Mélanie Laurent) et tombant amoureuse d’un homme à peu près parfait (Denis Ménochet) que l’autre, mère célibataire un brin égoïste, a du mal à accepter. Jusqu’à ce que le destin fasse un sort à ce trio, et décide de tordre le cou au bonheur parfait qui leur tendait les bras.
Sans s’attendre à un chef‑d’œuvre terrassant, on pouvait tout au moins espérer de ces Adoptés un minimum d’humilité et de distance vis-à-vis d’un scénario digne d’un téléfilm américain diffusé au milieu de l’après-midi sur une chaîne de la TNT. Mais l’insupportable prétention des dialogues rend d’autant plus antipathiques des personnages mal définis, qui n’existent que pour leur valeur symbolique et binaire (l’héroïne complexée mais lumineuse, la sœur indépendante mais aigrie, l’homme bourru mais amoureux). La sympathie que l’on peut éprouver pour certains des comédiens (Marie Denarnaud, Denis Ménochet) ne peut rien face à ces montagnes de littérature de gare que la réalisatrice leur demande de débiter le plus sérieusement du monde (pas une once de second degré ici, l’humour déployé ça et là est trop conscient de ses petits effets pour être réellement efficace). La mise en scène est à l’avenant : à tout prendre, on se serait bien contenté d’une succession de champs-contrechamps, mais Mélanie Laurent a cru bon de multiplier les cadrages alambiqués sans se demander un seul instant quel sens leur donner. L’esthétique générale est digne d’un spot de pub pour des fenêtres isolantes : on se sent effectivement bien à l’abri de l’extérieur dans ce film replié sur lui-même, visiblement pas du tout intéressé par ce qui se passe dehors, filtré par des nuances de gris qui donnent une patine chic et glaciale à un univers sans reliefs, sans aspérités. Un monde d’une tristesse infinie, aussi vivant que les pages d’un catalogue Ikéa.