Est-il besoin de rappeler les faits d’armes du Grand Manitou de la production française ? Celui qui a importé dans nos contrées la recette américaine du blockbuster braconne, une fois n’est pas coutume, du côté du film politique. Dans The Lady, il brosse le portrait d’Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la paix, dissidente pacifiste birmane, mère et épouse. Mais la complexité psychologique n’ayant jamais été le fort du réalisateur, Besson se complaît dans une vision manichéenne et parcellaire de son sujet, loin de la force dramaturgique que le destin tragique de la Lady aurait pu insuffler au film.
Dès les premières minutes du film (qui en affiche tout de même 127 au compteur), le ton est donné. Suu enfant écoute émerveillée dans les bras de son père, leader de la libération, l’histoire de la Birmanie. Il évoque la pauvreté du pays (ils résident dans une magnifique villa) et les violences subies par le peuple (ils sont installés dans un calme jardin ensoleillé). Appelé pour une réunion politique, il glisse une orchidée dans les cheveux de Suu, symbole de paix récurrent dans le film (une colombe aurait sans doute été un signe trop évident !) et part accomplir sa mission. Arrivé à destination, des Birmans à la mine patibulaire (suant, œil vicieux) l’attendent et le passent par les armes, lui et ses sergents. Déjà lourdement manichéen, le métrage s’emballe dans cette séquence brutale boostée par la musique d’Éric Serra. Les victimes exterminées sans rébellion (le père de Suu ferme les yeux en signe de consentement à son destin), les bourreaux cruels et pleins d’autosatisfaction. Fin du prologue. Mais pas du métrage.
Besson décline sur ce mode dichotomique la quasi-totalité de son film, en usant souvent de la langue comme d’un révélateur de positionnement. Les militaires de la junte parlent birman (mise à distance avec le public) alors que Aung San Suu Kyi et ses sympathisants s’expriment volontiers en anglais (référence rassurante pour ce même public). Ce choix linguistique, cohérent lorsque Suu est en Grande-Bretagne ou qu’elle converse avec son mari (britannique) et ses enfants (anglophones) gagne en superficialité (et en facilité) quand elle se retrouve assignée à résidence à Rangoon, entourée de Birmans. Mais si l’ouïe nous pousse à ranger chaque intervenant dans sa catégorie, elle subit une autre attaque, et pas des moindres par l’entremise de la musique. Juke-box eighties à souhait, les compositions de Serra, déjà peu ragoûtantes hors contexte, squattent l’image à tout bout de champ. Omniprésentes, elles soulignent, surlignent, encadrent les émotions qu’on devrait éprouver voire se vautrent dans un emploi calamiteux (Suu en déplacement dans les montagnes birmanes sur une musique rappelant celle qui suivait Enzo et son frangin dans la Topolino du Grand Bleu, comique assuré, mais était-ce le but ?).
Quant au scénario, il laisse sur sa faim les néophytes de la grande Dame. Jouant sur un montage qui alterne les époques et les lieux (Londres, Rangoon de 1988 à 2007 avec de nombreux trous temporels), The Lady n’évoque que très succinctement l’évolution politique de la Birmanie ou les tractations entre l’ONU et la junte pour se concentrer sur l’emprisonnement du personnage. Parti-pris a priori intéressant (se focaliser sur les conflits intérieurs du personnage et non sur la guerre larvée qui fait rage autour d’elle), Besson échoue toutefois à percer l’intimité de Suu. Le spectateur est coupé tout autant de l’histoire en marche derrière les murs de sa demeure, ne grignotant que quelques informations factuelles à la volée, que des pensées qui agitent l’héroïne. Cette femme est un mystère dont Besson n’a visiblement pas la clé. Les dilemmes psychologiques auxquels elle est acculée ne sont que peu mis en avant, sauf dans la dernière partie du film (la plus réussie), où Besson esquisse ce qui aurait pu composer le cœur de son sujet. Le mari de Suu, mourant, est coincé en Angleterre (les autorités birmanes lui refusant un visa). Suu se voit alors confrontée à un choix cornélien : être au chevet de son époux et soutenir ses enfants dans cette épreuve, quitte à abandonner son peuple ou demeurer à Rangoon pour continuer le combat de la démocratie, sans jamais revoir sa famille. Le film se défait (enfin) de son manichéisme scolaire lors de ce moment crucial, où la liberté potentielle de l’héroïne et ses obligations familiales se heurtent à ses convictions. Elle choisira finalement la Birmanie, embrassant définitivement son destin de figure sacrificielle d’un régime totalitaire.
Il est à déplorer que Luc Besson ne soit pas parvenu (ou n’ait pas voulu) construire son récit autour de cette tension entre personnel et universel. The Lady aurait alors peut-être pu percer l’âme de cette combattante. La singularité de son combat et sa détermination inflexible l’ont transformée en héroïne tragique, source dramaturgique intarissable. Dommage que Besson n’en ait fait qu’une énième héroïne ordinaire.