Après un Réussir ou mourir de triste mémoire, Jim Sheridan revient à sa thématique sociale et familiale avec Brothers, film qui traite de l’Amérique contemporaine par le biais d’un foyer apparemment modèle. Le cinéaste, habitué à s’entourer d’acteurs de qualité, offre à Tobey Maguire, Natalie Portman et à Jake Gyllenhaal des rôles à la hauteur de leur talent. Ce trio d’interprètes est la grande force d’un film qui ne se détache pas assez d’un programme mélodramatique convenu et qui n’ose pas s’attaquer à la morale conservatrice américaine. Par son consensus mou et sa vision angélique des États-Unis, cette œuvre en devient malheureusement réactionnaire.
Jim Sheridan, réalisateur honorable, capable du bon comme du pire (son Réussir ou mourir à la gloire du bling-bling 50 Cent), est un habitué du film à oscars et des prix gagnés dans de nombreux festivals internationaux. Cela peut s’expliquer par deux facteurs essentiels : une collaboration avec des interprètes au talent indéniable, notamment le grand Daniel Day-Lewis, qui a livré des prestations de hautes volées dans My Left Foot, Au nom du père et The Boxer, et des sujets politiques et sociaux, qui sont toujours bienvenus pour caresser les jurys et les spectateurs dans le sens du poil. Malgré ce constat un peu réducteur, il faut souligner, pour nuancer nos propos, que le cinéaste irlandais, qui excelle dans la direction d’acteur, est hanté par une thématique intéressante et incessante liée aux failles de la famille ainsi qu’à la rédemption. Il n’est pas donc pas à ranger dans le même panier que la bande des amoureux du strass et de la gloire à tout prix, même si sa carrière américaine peut commencer à nous inquiéter sérieusement. Brothers, remake du film homonyme de la Danoise Susanne Bier (Prix du public à Sundance en 2005), est un condensé des éléments précités : Sam (Tobey Maguire), un soldat de l’armée des États-Unis, est marié avec bonheur à Grace (Natalie Portman). Envoyé en mission en Afghanistan par l’ONU, il confie sa femme et ses deux filles à son frère Tommy (Jake Gyllenhaal), qui vient de sortir de prison. Ce dernier retrouve ainsi une place dans une société et dans une famille qui le rejette, loin d’un frère modèle qui va connaître la réalité d’un conflit.
Sheridan délivre un discours apparemment intéressant où il réfléchit sur l’engagement patriotique et la famille : comment la guerre liée à un patriotisme aveuglant peut influer sur un foyer d’origine prolétaire, ne vivant qu’à travers l’exploit de ses héros : leur vie, rythmée par les départs et les retours incertains, baigne dans une atmosphère mortifère. Brothers est également à classer dans la tradition du film sur le retour (après le Vietnam et l’Irak, c’est au tour de l’Afghanistan), qui traite d’un véritable désenchantement : la perte de confiance en la patrie et donc en la famille, fondement essentielle de celle-ci. Cette dernière, apparemment parfaite, connaît de nombreuses failles, symbolisées par Tommy, le fils indigne qui a connu la prison. Il représente ce malaise que l’Amérique se refuse à regarder en face. Sam, le bon soldat et le père de famille modèle, voit sa belle morale républicaine remise en question lors de son passage en Afghanistan, où l’héroïsme laisse place à une certaine lâcheté. De retour, il ne comprend plus son pays, le but de sa vie ainsi que ses proches qui semblent s’éloigner de lui et de ses problèmes. Ce récit hautement métaphorique, repose sur des acteurs au jeu bien rôdé, admirablement filmé par le cinéaste (son point fort), qui arrivent à retranscrire avec talent les thèmes traités par l’œuvre. Une mention spéciale est à délivrer à Maguire, dont le visage mystérieusement angélique est utilisé à bon escient par Sheridan.
Malgré sa solidité apparente, Brothers, comme la cellule familiale qu’il décrit, connaît un certain nombre de failles dérangeantes, notamment ce que nous évoquions : le style « film à oscars » du réalisateur irlandais, que l’on a connu plus subtil, rend l’œuvre très convenue. Brothers répond au programme mélodramatique de bon nombre de productions hollywoodiennes à succès, sans jamais chercher à s’éloigner de son scénario et du film original, qu’il recopie laborieusement. Il manque au cinéma de l’Irlandais, devenu profondément ennuyeux et consensuel depuis son arrivée aux États-Unis, la fureur qui habite des œuvres comme Voyage au bout de l’enfer ou la grâce et la délicatesse d’un James Gray pour ce qui est de la thématique familiale. Si Maguire, Gyllenhaal et Portman sont brillants, ils sont prisonniers d’une mécanique filmique à effet qui rend leur prestation et coups d’éclats trop attendus : le métrage, qui est traversé par un sentiment de déjà-vu, renforcé par une mise en scène classique – pour ne pas dire académique – s’attache trop à des effets scénaristiques dénués de surprises. Cette réalisation ne lui permet pas de s’élever au-delà d’un récit qui n’ose pas attaquer la famille et aux fondements américains.
Très timoré dans son apparente critique du nationalisme, le film délivre un discours qui devient, au bout du compte, particulièrement conservateur : le but de Sam est de reconstituer une famille qui s’est éloignée de lui lors de son séjour afghan ; son frère, le mouton noir, qui a eu le culot de s’occuper du foyer de trop près en son absence, remet en cause ce fondement essentiel des concepts républicains sauce Bush ou Reagan. À son retour, le bon patriarche retrouve peu à peu sa place, le fils indigne étant relégué au second plan. Le soldat, pris de folie et de doute suite à son passage en Asie Centrale, retrouve la foi dans une nation, qui finalement l’accepte et le réintègre en son sein. Le père (Sam Shepard), symbole même d’une certaine Amérique conservatrice, représenté comme particulièrement détestable au départ du film, finit par devenir ce bon vieux papa honorable qui en arrive même à excuser Tommy, le rebelle. Tout est rose et sucré dans le pays de l’Oncle Sam ! Les séquences se déroulant en Afghanistan sont également très maladroites, voire affligeantes, les guerriers afghans étant représentés de manière caricaturale : la désormais célèbre image des barbus sadiques et sanguinaires, dont le chef est chaussé de petites lunettes pour signifier son statut de stratège perfide. Sheridan, en bon cinéaste de l’effet, force le trait jusqu’aux clichés pour nous faire croire en son histoire et pour justifier un acte horrible commis par l’un de ses personnages. Très conservateur dans son style comme dans son message, malgré ses intentions apparentes et son beau trio d’acteurs, le film entache davantage la respectabilité d’un réalisateur prêt à accepter n’importe quel projet.