Avec des films comme Memories of Murder et The Host de Bong Joon-ho ou encore The Chaser de Na Hong-jin, le cinéma de genre sud-coréen actuel s’est peu à peu taillé une solide réputation. Le fantastique, le policier et l’horreur ont en effet été ces dernières années le terrain d’un travail passionnant autour des troubles liés à l’ascension économique soudaine du pays (corruption, criminalité, capitalisme sauvage…). Alors que l’on croyait discerner une certaine perte d’inspiration en la matière, et en particulier concernant les films d’horreur, ce Claustrophobia réunissant cinq court-métrages de jeunes réalisateurs réaffirme à lui seul la force de proposition des productions du pays.
Alone in the dark
Récompensé par la Palme d’Or du court-métrage à Cannes en 2013, Safe de Moon Byoung-gon est précédé d’une certaine réputation. L’histoire glaçante de cette jeune femme coincée derrière un guichet au sous-sol d’une salle de jeux clandestine est en effet tout particulièrement éprouvante. En quelques minutes prend forme une imagerie cauchemardesque et brutale de l’isolement par le travail au noir. La construction est tellement solide que l’on en vient d’ailleurs à regretter qu’il ne prenne le temps d’aller au-delà d’une idée percutante, aussi brillamment menée soit-elle.
Lorgnant au contraire du côté d’un Cronenberg à l’ancienne, la sensualité déviante du très réussi Mould de Park Chun-kyu laisse plus de place à l’humanité de ses personnages. On y côtoie un jeune homme vivant cloitré dans un appartement vétuste, en compagnie de sa mère et d’une magnifique concubine apparue du jour au lendemain. Le travail sur la dégradation progressive du décor de l’appartement est saisissant, tout autant que la démarche visant à matérialiser la volupté mortelle de l’isolement social. On retrouve ici tout le potentiel poétique par l’esthétisation de la noirceur si propre au cinéma d’horreur sud-coréen.
Traitant lui aussi de la situation des jeunes chômeurs, le maladroit mais intéressant Last Interview de Hyun Moon-sub propose pour sa part une rafraichissante politisation de la figure du vampire, plus habituellement cantonnée à son rôle de MST ambulante (ou d’amoureux transit selon le public visé). Le délaissement du zombie au profit du vampire comme infection des exclus du système est tout à fait convaincant pour traiter de la dépolitisation des luttes sociales dans les sociétés ultralibérales du 21ème siècle. À l’invincibilité du groupe est substituée la faiblesse de l’ambition individuelle : les dirigeants n’ont plus à contenir les contestataires/zombies, ils œuvrent plutôt à l’intégration au compte goutte des précaires/vampires plus habitués à se blottir dans l’obscurité.
Les deux derniers films ne sont malheureusement pas à la hauteur de ces trois belles réussites, mais ne sont pas dénués d’intérêt pour autant. Le mouvementé Janus de Kim Sung-hwan pèche certes par sa tendance à l’exercice de style. Mais en maintenant une tension qui le rapproche plus d’un Massacre à la tronçonneuse (version originale) que d’un Paranormal Activity, il balaye en quelques plans tous les insipides found footage américains récents. Enfin Jang Jae-hyun propose avec son The 12th Assistant une énième variation autour d’un exorcisme, sujet usé jusqu’à la corde sur lequel il ne bâtit rien de bien nouveau.
Seuls contre tous
Face à ces cinq approches différentes d’un même thème via un genre unique, on se rappelle à quel point l’enfermement est également un obstacle formel à surmonter dès lors qu’il s’agit de réaliser un film d’horreur aujourd’hui. Presque vingt ans après l’officialisation du post-modernisme par la série Scream, le sourire de connivence est devenu une habitude en la matière quand un réalisateur veut se démarquer comme « auteur ». Si la démarche n’est pas déplaisante en tant que telle, elle a tout de même cet inconvénient de concentrer encore plus le regard sur les codes du genre, devenus sujet principal des films. Et l’on a pu constater par la suite à quel point la surenchère de remakes et reboots présentés comme « intelligents » (car se jouant des codes de leurs prédécesseurs) ont conduit à une nouvelle asphyxie.
À l’inverse, les jeunes cinéastes sud-coréens dont le travail est exposé ici ont su maintenir un solide premier degré scénaristique, et des approches formelles qui se passent de tout clin d’œil complice. Le jeu obligatoire avec les codes du genre sont inclus à une narration qui ne se détourne jamais des allégories qu’elle vise à créer, tout autant que les citations d’œuvres précédentes (mis à part pour The 12th Assistant). Les événements surnaturels sont les manifestations d’une perception malade du monde par les personnages eux-mêmes : l’un a intégré ce que le système pense de lui, à savoir qu’il est un vampire, comme Martin dans le film de George Romero en son temps ; tandis qu’un autre se laisse charmer par la sensualité de la mort qui l’étreint tendrement. Le terrible piège qui se referme autour de la protagoniste de Safe est quant à lui rendu insoutenable par la présence de ce sentiment de culpabilité qui étreint les victimes d’un système qui les écrase. C’est grâce à ce rapport intime aux personnages que ces jeunes cinéastes parviennent si bien à restituer de tels cauchemars éveillés : en opposant un regard fiévreux et baroque au règne glacial des statistiques et des faits divers.