Après une bonne décennie de surenchère gore et de remakes plus ou moins dispensables de « classiques » du cinéma d’horreur, il était grand temps que Wes Craven et son scénariste Kevin Williamson réinvitent le tueur Ghostface dans le paysage cinématographique américain. De 1996 à 2000, la trilogie des Scream a donné un coup de jeune à un genre exsangue tout en jouant habilement sur ses propres codes, usés jusqu’à la corde. Relecture postmoderne, mise en abyme, cinéma d’auteur déguisé en série B : tout a été dit, ou presque, sur les mésaventures de Sidney Prescott face au(x) tueur(s) cinéphiles de Woodsboro… jusqu’à ce que les Scream soient eux-mêmes parodiés (via les sinistres Scary Movie) et ringardisés par quelques coups marketing fumeux (Paranormal Activity et consorts). Juste retour des choses ? Onze ans après avoir tiré le rideau, le tueur au masque inspiré du Cri d’Edvard Munch revient mettre les pendules à l’heure : tour à tour flippant, drôle et intelligent, Scream 4 donne un coup de poignard salutaire dans le cinéma d’horreur hollywoodien.
En 1996, Drew Barrymore s’apprête à regarder un film d’horreur avec son copain tout en faisant chauffer un paquet de pop-corn. Pas de bol : un coup de fil vient changer ses plans. En dix minutes magistrales, Wes Craven réinvente le slasher : à la fois amusé et terrifié, le public et la critique font un triomphe mérité à ce petit manifeste cinématographique qui se cache sous ses habits de film de genre populaire (des ados en pleine crise hormonale, un tueur psychopathe, des héros attachants qui s’en sortent à la fin) pour mieux en dynamiter les codes. Gros succès, le film donnera deux suites, de moins en moins appréciées (le troisième épisode sera éreinté par la critique malgré un beau travail sur le thème du double).
Réalisateur inégal, capable du meilleur (La Dernière Maison sur la gauche, Les Griffes de la nuit, Freddy sort de la nuit) comme du pire (L’Amie mortelle, Un vampire à Brooklyn), Wes Craven a inexplicablement raté tout ce qu’il a entrepris après les Scream, de son incursion dans le mélodrame (l’infâme La Musique de mon cœur) ou le thriller (Red Eye), jusqu’au consternant My Soul to Take en 2010, resté inédit ici. De fait, son retour aux manettes d’un quatrième Scream sent la manœuvre opportuniste visant à redorer un blason quelque peu terni et à renflouer un compte en banque à la dérive. Les grincheux râleront, mais force est de constater que le réalisateur et son scénariste (Kevin Williamson, auteur des deux premiers épisodes) ont bien fait de prendre leur temps et d’attendre que l’industrie hollywoodienne leur donne suffisamment de grain à moudre. Car en un peu plus de dix ans, le cinéma d’horreur a produit un nombre considérable de films souvent rentables, lançant des sous-genres qui ont disparu presque aussi vite qu’ils sont arrivés (le torture porn de Saw et ses avatars, l’épouvante asiatique à la Ring et The Grudge) et réactivant jusqu’à plus soif les icônes sanglantes des glorieuses années soixante-dix et navrantes années quatre-vingt, de Vendredi 13 à Halloween en passant par La Maison de cire, Le Bal de l’horreur et autres Massacre à la tronçonneuse. Lui-même artisan des remakes de ses propres œuvres, Wes Craven semblait de fait avoir abandonné toute ambition de cinéaste pour se consacrer avec plus de bonheur à la production des nouvelles versions de ses films les plus mythiques (voir les intéressants La colline a des yeux et La Dernière Maison sur la gauche, éviter le nouveau Freddy).
Exhumer Scream onze ans après pour commenter une décennie de massacres sur pellicule (pardon, sur clé USB) : voilà une idée intéressante autour de laquelle Craven et Williamson brodent un film jubilatoire, aussi fidèle à l’original que résolument tourné vers l’avenir (on imagine sans peine une nouvelle trilogie). La nouveauté, c’est que de ce jeu de piste macabre et désopilant surgit ça et là une mélancolie étonnante, joliment incarnée par la trop rare Neve Campbell, héroïne maudite et rescapée des trois premiers épisodes. Sidney Prescott, son personnage, revient dans la petite ville de Woodsboro, où quinze ans plus tôt le tueur masqué faisait sa première apparition. Sidney vient d’écrire un ouvrage sur les victimes de traumatismes et fait un détour par sa ville d’origine pour en faire la promo. Elle y retrouve Dewey, le flic gaffeur (David Arquette) devenu shérif, désormais marié à Gale (Courteney Cox), la journaliste arriviste qui a écrit les bouquins inspirés des meurtres de Woodsboro et adaptés au cinéma sous le nom de Stab (parodie de Scream vue dans les deuxième et troisième épisodes, vous suivez ?). Pendant que la ville s’apprête par la même occasion à célébrer le sordide anniversaire des premiers meurtres à travers notamment une projection clandestine de la série des Stab, deux jeunes filles sont sauvagement assassinées. Ghostface serait donc de retour ?
Il suffit à Craven de quinze minutes pour convaincre et donner le ton : comme dans le premier Scream, la séquence inaugurale de ce nouvel épisode est magistrale. En réussissant contre toute attente à créer un effet de surprise là où, logiquement, une quatrième suite peine généralement à se renouveler, le cinéaste et son scénariste posent de nouvelles bases tout en déroulant leur programme. Au menu des réjouissances : commentaire de texte sur le bien-fondé du remake et les règles qui en découlent, analyse comparée des anciennes générations de victimes et des nouvelles (potentielles), diagnostic des nouveaux outils de socialisation des jeunes (téléphone portable, réseaux sociaux) et dissertation sur les nouvelles pratiques cinématographiques et la mise en scène de soi qui en découle. Le tout, emballé dans un peu moins de deux heures de film menées tambour battant, dans une surenchère de rire et d’effroi qui s’applique à théoriser et démontrer dans un seul et même mouvement.
Ainsi, peut-être plus encore que dans le premier Scream, on peut choisir de se laisser guider par le seul divertissement (de ce côté-là, le film remplit allègrement son contrat) ou faire travailler ses méninges et se laisser embarquer dans le puits sans fond d’une mise en abyme perpétuelle, qui consiste à faire des personnages les acteurs et les réalisateurs du remake de leur propre vie… à moins que ce ne soit le remake des films inspirés de leurs propres malheurs ? Comme le dit le shérif Dewey : « A generation’s tragedy is the next one’s joke » (« La tragédie d’une génération est la risée de la suivante »). Face aux nouvelles cibles du tueur, elles-mêmes des versions rajeunies et modernisées des héros du premier épisode (la jeune et virginale héroïne, cousine de Sidney ; le boyfriend douteux ; la cinéphile à l’ironie mordante ; la bimbo ; la maladroite assistante du shérif ; l’attachée de presse ambitieuse…), que peuvent les anciens ?
Sidney, Dewey et Gale (et leurs interprètes) ont pris quelques rides (et, pour Courteney Cox, un peu de botox) et doivent trouver leur place dans un monde peuplé de petits malins biberonnés à la télé-réalité, avides de gloire facile et instantanée, qui préfèrent la facilité du remake à la patine de l’original. Pour Sidney, la virginité du premier film a disparu au profit d’une vie asexuée et androgyne. Les traits anguleux de Neve Campbell et son corps musclé de danseuse donnent à son personnage une ambiguïté touchante ; devenue spectatrice des événements, elle est désormais contrainte de voir se dérouler le film de son passé, comme une mauvaise vidéo bricolée sur YouTube où des amateurs peu inspirés s’amusent à recréer des scènes de leurs films cultes. L’arrivisme de Gale, capable de risquer sa vie pour retrouver l’inspiration qui lui fait défaut, et la bêtise de Dewey, devenue sagesse face à l’inconséquence des plus jeunes, transforment ces vieilles gloires en vétérans définitivement usés par un monde qui les dépasse. Si, dans leur jeunesse sacrifiée, un simple téléphone pouvait faire basculer leurs vies, que peuvent les nouvelles victimes quand leurs portables servent à remplir leur quotidien, jusqu’à le filmer et le commenter en temps réel ? La réflexion pourrait virer au pamphlet de vieux con, mais Craven ne tire pas de morale hâtive. Sauf peut-être une, à laquelle tous les cinéphiles s’accorderont : si vous faites un remake, ne déconnez pas avec l’original.