The Chaser est doté d’une réputation élogieuse – digne de celle de l’excellent Memories of Murder – qui fut confirmée lors de sa projection au festival de Cannes 2008. S’il est vrai que ce premier film de Na Hong-jin impressionne par sa forme, il souffre de plusieurs défauts liés à un fond parfois ambigu et à une violence tombant à certaines reprises dans le piège de l’esthétisme douteux. Cette œuvre sur la rédemption est cependant baignée dans une noirceur si vénéneuse qu’elle en arrive à faire oublier ses faiblesses.
Depuis quelques années, le cinéma coréen est devenu incontournable dans le paysage cinématographique international grâce à des films d’auteurs exigeants et des œuvres de genres efficaces qui ont peu à peu remplacé les cinémas hongkongais et japonais dans le cœur des aficionados de l’Asie. Après une petite période d’accalmie, les grosses productions coréennes reviennent en force sur nos écrans : si Le Bon, la brute et le cinglé avait lancé la première salve en fin d’année dernière, The Chaser est là pour enfoncer le clou. Disons le tout de suite, ce premier film de Na Hong-jin est une œuvre très maîtrisée formellement, le jeune réalisateur filmant avec virtuosité l’histoire crasseuse d’une chasse à l’homme dans les rues tortueuses de Séoul : Joong-ho, un ancien flic devenu proxénète, se rend compte que ses filles disparaissent après qu’elles ont toutes rencontré le même client. Il se lance à la poursuite du tueur, persuadé qu’il peut encore sauver Mi-jin, la dernière prostituée enlevée.
Na Hong-jin nous plonge avec talent dans un univers urbain sordide et labyrinthique, fait de ruelles et de maisons semblables, véritable jeu de piste pervers qui accumule les faux semblants et les indices cachés : la belle Mi-jin est confinée dans une demeure que nul n’arrive à trouver malgré la capture du serial killer qui se joue d’une police coréenne ridiculement inefficace. Le film est construit autour d’une série de rencontres hasardeuses et fortuites dans une ville tentaculaire qui métaphorise intelligemment un mal qui semble se cacher partout : à chaque coin de rue ; près des citoyens les plus innocents ; auprès des églises – le réalisateur accumule les symboles religieux à l’aspect mortifère. Tous les personnages semblent être minables et dénués de sens moral : le « héros » est lui-même une sombre crapule qui ne part à la chasse au tueur que pour récupérer sa source de revenu. Si The Chaser semble profondément pessimiste et cruel envers l’Homme, il émet peu à peu un espoir grâce à un enfant – la fille de la prostituée – qui va redonner un semblant de visage humain à notre proxénète. Par nuances, il passe d’un individualisme détestable au don de soi et au respect de l’Autre. Les images religieuses qui contaminent le métrage sont d’ailleurs utilisées pour filer davantage la métaphore – à la manière d’un Scorsese. The Chaser s’inscrit ainsi dans la droite lignée des fameux polars des années 1970 à l’esthétique « réaliste » et au fond profondément pessimiste. Cet hommage honorable donne cependant un léger manque d’originalité à l’œuvre, voire un sentiment de déjà-vu, que l’on peut aussi analyser comme l’un des problèmes d’un cinéma de genre coréen qui s’inspire avec insistance de ses voisins japonais et hongkongais ainsi que des films hollywoodiens : l’impossibilité de se détacher clairement de ses modèles. Il serait cependant sévère de critiquer l’aspect référentiel du film d’un jeune réalisateur qui sait déjà construire un univers pertinent et insuffler du rythme et du suspense à son récit.
The Chaser peut aussi être vu comme une charge violente contre l’État coréen – représenté ici par sa police – dont l’incompétence et les lourdeurs administratives sont pointées du doigt. Les fonctionnaires semblent bien plus préoccupés par un jet de merde sur le maire de Séoul que par la disparition d’une prostituée, symbole même des couches les plus basses et les plus négligeables de nos sociétés. Face à l’absurdité des rouages étatiques, le cinéaste répond par un humour noir qui permet également de désamorcer le climat terriblement frustrant et stressant du métrage. Le pouvoir est directement accusé par le biais d’un procureur incompétent qui ne croit pas en la culpabilité d’un tueur au visage angélique et respectable – comme l’est d’ailleurs le maire de la ville, symbole du haut fonctionnaire véreux mais considéré. Cette attaque sévère envers l’État peut cependant apparaître réactionnaire : en accusant si durement le système étatique, policier et judiciaire, on peut très vite tomber dans l’apologie de la justice individuelle – tout est si pourri… Avec son criminel sanguinaire qui provoque immédiatement la haine du spectateur, les larmes de la fille innocente de la prostituée et une remise en liberté injuste, le film flirte avec la démagogie. Ses ressorts scénaristiques qui manipulent les sentiments du spectateur et les figures utilisées par le réalisateur jouent alors avec le feu, d’autant plus que la violence parfois gratuite et esthétisante de son œuvre rappelle les pires moments du cinéma de Park Chan-wook ou du surestimé Takashi Miike.
Malgré ces ambiguïtés et des choix artistiques douteux, que l’on analysera plutôt comme de la maladresse, le film se conclue de manière beaucoup plus intelligente et nuancée, avec toujours cette idée conductrice de rédemption : le proxénète, qui est tout aussi responsable de la mort des prostituées que le tueur, veut mettre à mort sa part sombre symbolisée par le reflet insoutenable d’un être aussi bestial et inhumain que lui. The Chaser est ainsi l’histoire cruelle et tragique d’un homme détestable qui prend conscience du mal qui le ronge et qu’il doit détruire. Chez Na Hong-jin, véritable cinéaste de la cruauté, la rédemption se fait alors dans la douleur et le sang, sans espoir de connaître la paix intérieure. Cette belle noirceur donne envie de suivre l’œuvre de ce réalisateur prometteur en espérant qu’il puisse maîtriser davantage les thèmes qu’il aborde.