Venus de la télévision, Edgar Wright et Simon Pegg avaient brillamment réussi leur passage au grand écran avec le très drôle et très remarqué Shaun of the Dead, qui reprenait des personnages de geeks, proches de leur série TV Spaced, confrontés à des morts-vivants. Wright y déployait un sens concret du détournement de cliché et un goût sûr pour le comique de répétition. Mais en voulant s’attaquer aux films d’action avec Hot Fuzz, et en tentant de reproduire les mises en scène publicitaires des films hollywoodiens, il passe complètement à côté du potentiel satirique de son film.
La réussite de Shaun of the Dead (2005) ne tenait pas tant au jeu de référence aux films de zombie et à l’univers de George Romero, qu’à l’exactitude des réactions des personnages principaux, non pas des héros de cinéma mais les archétypes du spectateur de ce genre de films, qui se retrouvaient propulsés en plein cliché cinématographique. Ce n’est pas l’exploration du film d’horreur qui y était intéressante, mais l’analyse du geek, dont le film réalisait le fantasme inconscient (se retrouver dans le film). Hot Fuzz, fonctionne sur un mode inversé. Plus de geek (ou du moins est-il relégué au rang de faire-valoir) mais le prototype du super héros de film d’action : un super flic, ultra compètent, courageux, soucieux de faire respecter la loi à la lettre, plongé ici en pleine réalité de l’Angleterre blairiste. Si bien que son zèle et ses capacités hors du commun gênent ses collègues qui, à côté de lui, passent pour des fonctionnaires paresseux. Nicholas Angel (c’est son nom) est donc muté dans un petit village appelé Sandford, qui remporte tous les ans le prix du « best village of England ». Sous ses aspects de bourgade paisible, Sandford dissimule un terrible secret que seul Angel, dans son scrupuleux respect des lois, va vouloir mettre à jour. L’idée est bonne, voire excellente : créer le comique à partir de l’adresse et de la lucidité du héros, plutôt que sa maladresse et sa bêtise (genre l’inspecteur Clouseau). Angel se confronte à l’hypocrisie de la bourgeoisie de province : sa morale des apparences et sa peur de perdre son pouvoir. Seulement voilà, à travers ce personnage, on sent bien que l’intention des auteurs n’est pas de faire une satire sociale (à la manière de John Carpenter dans, disons, Invasion Los Angeles, 1988), mais plutôt d’explorer les possibilités du film d’action. Or, un film d’action, pour être efficace, s’accorde mieux d’histoires simples, voire simplistes, dont les trous béants laissent une place suffisante à l’exposition des corps en pleine action (justement) plutôt que des scénarios lourds de sens.
Le film de genre aujourd’hui ce n’est plus qu’une histoire d’amour entre un metteur en scène et les films qui ont bercé sa cinéphilie. Il ne s’agit plus de réinventer ce cinéma, ses codes et ses formes, mais d’en reproduire les tics et les tropes, de le parsemer de clins d’œil cinéphiliques et de brandir l’étendard de la référence absolue. Cela ne fera pas beaucoup avancer la machine cinéma – les jeunes cinéastes préfèrent maintenant se nourrir de clichés plutôt que de la vie (il suffit de voir les désolants courts-métrages que diffuse 13ème Rue le soir pour s’en convaincre) – mais ça peut donner des films intéressants comme le dernier Tarantino. Boulevard de la mort était réussi parce que l’amour de Tarantino pour le cinéma de genre est total, sans compromis possible : il en aime les qualités et aussi les défauts, inhérents l’un à l’autre. Cet amour-là, va de pair avec une connaissance profonde de ce cinéma, de la même manière que l’on connaît sa compagne ou son compagnon : en prévoyant ses réactions selon les circonstances, en devinant ses sentiments en un regard, en reconnaissant, rien qu’au toucher, son grain de peau. La cinéphilie, la culture, c’est avant tout passionnel !
Pas sûr que le rapport d’Edgar Wright (réalisateur, co-scénariste) et Simon Pegg (acteur vedette, co-scénariste) au cinéma, soit une affaire de passion. Malgré leur indéniable talent de scénaristes et leur capacité à jouer des situations et inverser les clichés, leur cinéphilie s’avère assez pauvre. Ils souffrent des mêmes tares que la plupart des jeunes réalisateurs fascinés par le cinéma hollywoodien : ils en aiment plus les effets que le contenu. D’où les références plus ou moins explicites que l’on retrouve dans la mise en scène de Wright : Tony Scott et Michael Bay. Références assez logique puisqu’il s’agit là de cinéastes qui ne recherchent que l’effet de la réalisation, sans être impliqués par ce qu’ils filment mais uniquement préoccupés par les capacités techniques du montage et de la caméra. C’est en gros du maniérisme académique, rassurant car ne traitant aucun sujet (ce qui empêche le détournement du film) donc tolérable au sein du cinéma hollywoodien. La façon dont Wright reproduit leurs figures de style et cite ouvertement Bad Boys 2 (pourtant l’un des films d’action les plus immondes jamais produits), en dit long sur le manque de réflexion du jeune cinéaste sur son rapport à l’image. Un film d’action, c’est un film qui met en avant le corps de l’acteur, qui explore ses capacités et met à nu ses pulsions (souvent masochistes). Il y eut un bon cinéma d’action hollywoodien, à l’époque où les comédiens étaient avant tout des corps (Stallone, Schwarzenegger, Bruce Willis, Mel Gibson…). La question de comment filmer un corps en pleine action, qui taraudait des gens comme John McTiernan ou John Woo, n’intéresse plus du tout Hollywood et laisse complètement indifférent Edgar Wright. On peut aller voir Hot Fuzz, s’amuser de son humour décalé, de ses performances d’acteur (Simon Pegg, Nick Frost, Timothy Dalton…), de son scénario alambiqué… Mais on peut aussi en faire la constatation d’un échec : celui d’une transmission cinéphilique qui s’effiloche et perd tout son sens.