Loin des clichés d’un cinéma anglais embourbé depuis quelque temps dans le grisâtre (Ken Loach, Mike Leigh), My Summer of Love est un film solaire et charnel. Si certaines facilités perdurent, Pawel Pawlikowski fait preuve d’une certaine délicatesse dans la peinture d’un amour passionnel, le temps d’un été.
À seize ans, Mona vit seule avec son frère aîné, Phil, dans un trou paumé du Yorkshire. Sa morne existence, entre une aventure sans lendemain avec un chanteur quadra de seconde zone et la crise mystique de son frère fraîchement sorti de prison, est bouleversée le jour où elle rencontre Tamsin, séduisante jeune fille de bonne famille. Fascinée, Mona va peu à peu se prendre de passion pour cette nouvelle et mystérieuse amie. En quelques scènes trop vite expédiées, le réalisateur dresse un portrait peu reluisant du quotidien de cette adolescente en quête de repères, comme s’il était nécessaire de justifier de manière rationnelle l’engouement de l’adolescente pour son amie. Des réunions improvisées des born-again christians pour lesquelles Phil a condamné le pub familial pour le transformer en lieu de culte, aux entrevues sordides de Mona et de son « amant », Pawel Pawlikowski ne fait pas vraiment dans la dentelle pour attirer la compassion du spectateur. Trop balisé dans sa toute première partie, son quatrième long-métrage de fiction va pourtant gagner en force et en subtilité dès lors que l’attention se concentre essentiellement sur la relation trouble et charnelle des deux adolescentes, bien loin du bruit et de la fureur des villageois fanatiques.
Il faut dire que l’intuition du réalisateur s’est avérée payante et que par un heureux jeu de circonstances, son projet a pu bénéficier d’une aura assez inhabituelle. En premier lieu, le choix des actrices, Natalie Press et Emily Blunt, toutes deux exceptionnelles de naturel et de spontanéité, démontre que Pawel Pawlikowski a réfléchi son projet avec brio, sachant exactement vers quoi il souhaitait se diriger. Mais la force surprenante du film relève par contre d’un hasard exceptionnel. Tourné en plein été dans une région humide et grisâtre de l’Angleterre, My Summer of Love risquait fort d’arborer le sous-titre Singing in the rain, ce qui aurait forcément privé le film d’une force sensuelle et contemplative si rares dans le cinéma anglais contemporain. La chance du réalisateur est d’avoir organisé son tournage pendant la vague de chaleur qui terrassait l’Europe pendant l’été 2003. Du coup, c’est une vision inédite de l’Angleterre que Pawel Pawlikowski nous propose ici. Loin du gris généralement de circonstance dans ce pays plus qu’un autre, le film aurait pourtant de quoi rendre jaloux d’autres œuvres comme Partie de campagne de Jean Renoir, Les Roseaux sauvages d’André Téchiné ou plus récemment, Blissfully Yours d’Apichatpong Weerasethakul pour lesquels l’incroyable travail sur la luminosité ne fait désormais plus légende. La couleur, légèrement jaunie par un soleil omniprésent, la lumière, perçante jusqu’à cet aveuglement qui sera le lot de Mona, et le son, privilégiant le silence d’une campagne plombée par la canicule, tout cela participe au trouble de cette amourette adolescente qui relève pourtant davantage du convenu que du sulfureux.
En effet, le réalisateur semble miser un peu trop sur le caractère « atypique » de cette passion, du fait qu’elle soit homosexuelle. Visiblement séduit par le réel potentiel de ses deux jeunes actrices, il en oublie parfois que ces choix scénaristiques ne relèvent plus forcément du subversif. Aussi, le propos gagne en profondeur et le film se fait plus énigmatique lorsque l’attention se porte sur la personnalité ambiguë de Tamsin, aussi menteuse que sincère, aussi vulnérable que séduisante. De cette belle matière, My Summer of Love parvient à tirer son épingle du jeu. Et si l’on aimerait suivre encore un peu Mona lors du dernier plan, c’est que Pawel Pawlikowski est un réalisateur pour lequel on doit nourrir une attention toute particulière.