Après avoir fait ses armes de scénariste sur la deuxième série de Judd Apatow, Undeclared (sorte de suite de Freaks & Geeks qui passe, du lycée, à la fac), Nicholas Stoller avait proposé avec son acolyte Jason Segel Sans Sarah, rien ne va : une amusante romance dans laquelle brillait déjà l’acteur principal. Une première collaboration largement dépassée par 5 ans de réflexion, comédie assez fine sur les errances d’un couple sur le point de s’engager.
Depuis quelques années et avec le renouvellement de la comédie romantique aux États-Unis, une série de films s’amusent habilement à découdre les codes du genre. Traditionnellement, un de ces codes était de présenter des personnages faits l’un pour l’autre et qui l’ignorent ; 5 ans de réflexion s’en saisit et prend, dans tous les sens du terme, la romance à l’envers. Narrativement d’abord : la singularité du film est de commencer par ce qui constitue, d’habitude, le terme de la rom com – la demande en mariage, réussie et acceptée. De commencer par là pour étirer la fiction dans les atermoiements du couple passionné, qui s’épuise peu à peu dans la monotonie du Michigan. Face à l’engagement amoureux dans lequel les protagonistes se lancent en effet sans problème se pose un obstacle de taille : la vie professionnelle de chacun.
Ainsi c’est Tom qui renonce à sa carrière de chef à San Francisco pour suivre sa promise à l’Université du Michigan. Si le Midwest est le théâtre des meilleurs teen movies, il semble que l’adolescence passée, le cinéma ait plaisir à représenter la région comme terre d’un ennui profond. Et c’est là, alors que Violet s’épanouit dans sa carrière universitaire, que Tom se laisse dépérir et que son couple bat de l’aile, le mariage annoncé dès l’exposition étant repoussé jusqu’à nouvel ordre – pendant cinq ans qui seront ponctués par quelques enterrements.
Saluons d’abord la récente modernité de la comédie américaine en général, et romantique en particulier : genres marqués, entre tous, par la distinction des sexes. Enfin, depuis l’arrivée d’une nouvelle génération d’actrices et de scénaristes, le genre profite d’un nouveau souffle qui éclate, plus que jamais, dans le scénario de Nicholas Stoller et Jason Segel. « Sometimes, the biggest balls are the ones left unused » clame, plein d’humour, un Tom laissé pour compte – derrière lequel brille en effet un excellent scénariste et acteur qui ne fait pas la bêtise de se donner le beau rôle.
L’amour étant posé dès le départ, c’est sa fuite qui occupe les deux heures du film. Offrant de la rom com un versant moins graveleux que celui de leurs divers acolytes, Stoller et Segel développement un humour fin et efficace. La mise en scène de la romance est, on le sent, un plaisir aux deux bouts du film : dans le jeu comme dans le regard. S’il est un motif que travaille le film d’ailleurs, c’est bien celui de la représentation : les personnages ne cessent de jouer et de réécrire l’histoire d’amour dont il est question. Du flash-back de la première rencontre / coup de foudre retravaillé, réécrit, relu et rejoué à tant d’étapes du scénario, à la représentation constante du jeu amoureux et des codes du couple moderne (un couple de cinéma : tel qu’il est venu par Hollywood) – la demande, les disputes et, représentation ultime, la cérémonie – 5 ans de réflexion ne cesse de jouer au jeu du spectacle, de la représentation. Sans doute pour mieux trouver, sous ce vernis alors épuisé, la tendresse qui manque si souvent à la comédie romantique.
Le jeu sur le regard, la mise en scène de soi, sont fascinants et repris inlassablement par le scénario – cristallisés, qui plus est, dans la relecture incessante de la première rencontre. Tous les codes sont ainsi déjoués, usés : épuisée, la mièvrerie de la demande en mariage ; épuisée, la pesanteur des scènes de dispute. Le scénario pâtit peut-être de certaines longueurs (de la répétition du dîner aux retrouvailles) : les péripéties et conflits du film suivent un schéma qui, s’il commence par la fin, s’inscrit dans un ordre désormais classique. Mais c’est un schéma dans lequel s’invite (et c’est là que réside, sinon l’originalité, au moins le plaisir que procure le film) un humour qui consiste à rire en permanence de soi. À différents niveaux, c’est ce que font les personnages comme les acteurs. Les situations les plus pesantes sont doublées de leur commentaire et ce contrepoids régulier aux clichés insupportables du genre y fait circuler un vigoureux élan de liberté, de plaisir, de fantaisie.
Dans la tradition des comédies produites par Judd Apatow, 5 ans de réflexion porte une attention particulière et agréable aux personnages secondaires. Les collègues de Violet notamment, panel – presque caricatural – de la diversité à l’américaine, sont un parfait gang de déconneurs qui permet d’offrir un contrepoids à l’anecdote principale. Trois personnages auxquels s’ajoutent la sœur et son mari, les parents, l’amant : toutes les figures d’un scénario d’une richesse savoureuse.
Se jouer des codes, se donner en spectacle devant des amis complices ou une vitre teintée derrière laquelle observent des doctorants en psychologie sociale, s’expliquer certes, mais en prenant de grosses voix pour amuser un enfant qui observe : c’est épuiser l’intrigue amoureuse de ses scories, de ses artifices. Doublée en permanence de sa réécriture par les personnages, l’intrigue de 5 ans de réflexion joue même celle de précédents films – la sœur et le meilleur ami des protagonistes rejouent et poursuivent, en arrière-plan, l’accident d’En cloque, mode d’emploi.
Après la réorganisation des rôles d’un genre jusque là si stéréotypé, les réussites du clan Apatow continuent à redonner vie à la comédie américaine – poursuivant du même coup une vaste entreprise de représentation de l’Américain et de l’Américaine attachants et quelconques, du lycée jusqu’à (pour le moment) la quarantaine.