Ce premier film fictionnel, réalisé en 1997 par l’auteur japonais, fait le pont entre la matière documentaire qu’il exploitait jusque-là, et le désir de saisir ce quelque chose d’invisible qui fait et défait les rapports humains, et surtout le rapport amoureux. Situé dans une petite bourgade de la province japonaise, 2/Duo explore le malaise progressif d’un jeune couple qui peine à être ensemble.
Il est toujours tentant, lorsque l’on voit débarquer sur les écrans le premier film inédit d’un auteur reconnu depuis, de plonger dans l’analyse a posteriori. De voir le film comme une matrice – ou pire, un coup d’essai – de ce qui adviendra plus tard sous une forme et une expression plus mature, sans prendre en compte que la vulnérabilité même d’un film peut en constituer la singularité – voire mieux, la nécessité, l’urgence. On pourra toujours arguer qu’on trouve dans 2/Duo le même jeu d’allers et retours entre fiction et réalité, comme plus tard dans H Story, ou encore que c’est l’histoire d’un couple qui se perd, en écho à Un couple parfait ou même Yuki et Nina, on n’aura pourtant rien dit du film qui décrive en quoi il est touchant de le découvrir aujourd’hui.
Car 2/Duo est comme un chemin dont on perd la trace à mesure que l’on en explore les recoins. L’utilisation du plan-séquence fait du film une expérience fragile et éphémère, comme une veillée engourdie, dont les changements de cadre réguliers viennent redéfinir le contexte, en même temps qu’ils font disparaître ce à quoi l’on s’était accroché plus tôt. Expression cinématographique la plus probante de ce qui sépare un couple – la perte subite des repères que l’on s’était fixés à deux –, et de ce qui pourrait lui permettre de survivre, en suivant un mouvement qui le dépasse, qui lui échappe.
La différence entre les aspirations que chacun projette sur le couple est posée d’emblée par la fonction occupée par les deux protagonistes : Yu est vendeuse dans une petite boutique de vêtements pendant que Kei est un acteur sans avenir qui vit à ses crochets. Situation banale, de deux êtres qui tentent de se serrer les coudes malgré les difficultés, mais que le moindre grain de poussière risque de faire flancher. L’événement qui vient affirmer cette rupture dans le couple est, contre toute attente, une demande en mariage. La divergence de regard y est traduite par un élément décisif : Kei a l’habitude, pour plaisanter, de ressortir des répliques de scènes dans lesquelles il a joué, et se fait prendre à son propre piège lorsque Yu considère cette demande en mariage comme une tentative de prolonger ce jeu. Cette simple méprise se transforme en trouble vertigineux, eu égard à la profession de Kei. Qui parle ? Le personnage ou l’acteur ?
Et Suwa d’emboîter le pas en plongeant dans cette méprise, en interrogeant personnellement ses « acteurs-personnages » le temps de quelques scénettes face caméra. La « voix off » du réalisateur vient alors les questionner aussi bien sur leurs désirs en matière de vie que sur la demande en mariage fictive énoncée quelques minutes plus tôt. La ligne de démarcation entre acteur et personnage reste floue, tout en donnant une nouvelle vigueur au récit de la difficulté d’être à deux. Et à travers ce dispositif, Suwa documente tout autant son propre rapport aux acteurs que celui de deux personnages en mal d’aspirations, en un intime dialogue circulaire qui irrigue tout le film. Une belle promesse qui, depuis, tient toujours.