Yuki et Nina est le fruit d’une rencontre entre le Japonais Nobuhiro Suwa et le Français Hippolyte Girardot, qui endosse pour la première fois le rôle de réalisateur. Si l’association de ces deux talents semblait particulièrement intéressante, le résultat final est en partie décevant : pendant près d’une heure, le film ressemble à une mauvaise caricature des films du Nippon, avant de séduire enfin le temps d’une ballade finale dans une forêt à l’atmosphère fantastique. Les dernières séquences permettent ainsi de rehausser avec talent le niveau d’une œuvre qui semble contaminée par l’incompréhension touchant les deux auteurs.
Nobuhiro Suwa est un cinéaste qui est hanté par le thème de la séparation, un auteur délicat qui dissèque depuis plus d’une dizaine d’années les rapports humains. Lors du tournage d’Un couple parfait, son premier film tourné en France, le Nippon a croisé Hippolyte Girardot, un acteur habitué à jouer dans des films d’auteurs exigeants. Cette rencontre a donné naissance à Yuki et Nina, une œuvre qui expose les états d’âmes d’une jeune métisse franco-japonaise (Noë Sampy, parfaite dans son rôle) subissant la séparation de sa mère nippone et de son père français (interprété par Girardot lui-même). L’enfant, malgré ses réticences et sa volonté naïve de faire renaître l’amour entre ses parents, se voit obligée de suivre sa mère au Japon. Elle décide de s’enfuir avec sa meilleure amie, Nina. On retrouve dans cette œuvre la thématique du déchirement chère à Suwa, qui s’étend ici à la difficile cohabitation entre les cultures. Yuki est un corps réceptacle qui métaphorise toutes les problématiques : la distance entre deux êtres, un homme et une femme qui ne s’aiment plus, et entre deux pays qui, bien que se respectant profondément, ont du mal à coexister ; elle est un personnage qui symbolise également la réunion de deux auteurs aux origines différentes, deux individus dont la façon de penser peut s’opposer. Il en résulte une œuvre duale, souvent maladroite, qui s’avère particulièrement décevante pendant près d’une heure de bobines où la mise en scène réaliste de Suwa fait défaut.
Lors de cette première partie, on cherche en vain la grâce et la précision de M/Other ou d’Un couple parfait ; on s’impatiente et on attend désespérément la séquence qui permettra au film de prendre enfin son envol. Si les plans fixes qu’aime tant le cinéaste, où les acteurs s’affrontent, disparaissent hors du champ, y reviennent et se confrontent à nouveau, sont présents, le dispositif est trop visible, peu naturel, comme si celui-ci était trop rodé. Le sentiment de déception provient aussi de l’interprétation du duo d’acteur « adulte » qui ne permet pas de retranscrire avec délicatesse le choc d’une séparation : le jeu excentrique de Tsuyu Shimizu (la mère de Yuki), qui est contre-nature avec l’atmosphère réaliste du métrage, met à mal des scènes cruciales ; Hippolyte Girardot, qui n’est pas habitué à être devant et derrière la caméra, semble également peu à son aise. Cette histoire de déchirement est alors court-circuitée par leur prestation, faute aussi, peut-être, à une direction d’acteur défaillante. Si Suwa revendique constamment son attachement à un certain réalisme, Yuki et Nina sonne étrangement faux. Mais n’oublions pas qu’il s’agit de l’œuvre de deux auteurs, les idées scénaristiques de Girardot permettant au film de finir avec grâce.
Cette histoire de séparation prend une dimension inattendue, voire inespérée, lors d’une plongée merveilleuse dans une forêt française. Lors de sa fuite, Yuki se perd dans cet endroit qui établit un lien entre le présent et le futur, entre sa vie française et son futur déménagement au Japon. On assiste à une sorte de voyage spatio-temporelle où la mise en scène devient enfin intéressante, grâce à des plans baignant dans une belle étrangeté fantastique et à une atmosphère psychanalytique réussie. Ce final, qui s’avère très éloignées de l’univers de Nobuhiro Suwa, vient de l’esprit d’Hippolyte Girardot, celui-ci ayant tenu à introduire ces séquences pour signifier une plongée dans le subconscient de l’enfant. On ressent ici l’attirance commune des deux réalisateurs pour la culture de l’autre : Girardot, le Français, a eu une idée toute japonaise en utilisant une forêt, symbole fort de l’univers nippon, maintes fois utilisé dans la cinématographie de l’Archipel, de Kenji Mizoguchi à Kiyoshi Kurosawa (Charisma et son inquiétante étrangeté). Ce lieu tortueux et mystérieux, où transitent les esprits du folklore nippon, est alors parfait pour signifier le trouble dans l’esprit de l’enfant. La patte de Suwa, grand amoureux du cinéma européen, se ressent davantage dans la première partie du métrage, à son grand désavantage.
L’imperfection de cette œuvre semble être le résultat d’une dualité trop forte, d’une absence d’alchimie entre deux personnalités qui parlent difficilement la langue de l’autre et qui ne semble pas partager le même langage cinématographique. Il faut aussi noter que le film a été monté entre le Japon et la France, grâce à quelques échanges Internet et téléphonique. Cela peut expliquer en partie le manque de cohérence du métrage, surtout lorsque l’on connaît l’importance cruciale du montage. La séparation évoquée dans Yuki et Nina est alors celle de deux cinéastes qui ne pouvaient pas cohabiter pleinement. On touche au cœur du film qui ne fait qu’exposer la distance entre Nobuhiro Suwa et Hippolyte Girardot, deux individus apparemment proches, mais cinématographiquement éloignés. L’aveu d’une impuissance à filmer qu’avait déjà développé avec talent le réalisateur japonais lors de son torturé H/Story.