Alors que leur usine est sur le point d’être rachetée – prétendument sans réduction d’effectifs, onze déléguées du personnel sont invitées à voter pour ou contre la réduction de sept minutes du temps de pause des salariées. Elle n’ont que quelque heures pour rendre leur décision. Par facilité (« sept minutes, ce n’est pas grand-chose ») ou par peur (certaines lisent entre les lignes une menace non formulée pour celles qui refuseraient ce changement), dix parmi les onze sont prêtes à accepter la proposition sans hésiter, mais la doyenne du groupe insiste pour inviter ses paires à reconsidérer leur choix…
Adaptation d’un huis-clos théâtral, ce n’est pas pour rien que le nouveau film de Michele Placido en rappelle une autre : le réalisateur ne se cache pas d’être allé chercher sa narration du côté de la pièce Douze hommes en colère de Reginald Rose et de sa mise en film par Sidney Lumet, fût-ce en enfreignant allègrement le principe de claustration. Derrière le déplacement dans le contexte actuel d’un libéralisme déshumanisant (où Placido se fait plaisir en confiant à lui-même et ses deux frères les rôles de la fratrie de patrons peu scrupuleux), l’argument fondamental s’avère identique : au sein d’un microcosme mis face à un choix apparemment facile mais aux enjeux moraux dramatiques, un élément réfractaire isolé vient patiemment faire voler en éclats la quasi-unanimité, tout en renvoyant chacun de ses pairs à sa propre situation et aux motivations de son choix majoritaire. On retiendra à 7 Minuti une plus-value au regard de Douze hommes en colère : l’élément contradicteur, la doyenne jouée par Ottavia Piccolo, offre une conscience moins lisse que le « juré numéro 8 » droit comme Henry Fonda. Dans le même bain que les autres, elle est néanmoins, de par son ancienneté, considérée par elles comme plus proche des patrons – c’est d’ailleurs elle qu’on a envoyée mener une négociation dérisoire avec eux, autrement dit au casse-pipe. Son seul avantage vis-à-vis d’elles est un poids qu’elle porte : une expérience plus longue et plus tristement avertie des rapports viciés entre dominants et dominés sociaux.
Constats sans consistance
En dehors de ce beau personnage, cependant, 7 Minuti n’a hélas pas grand-chose de convaincant à proposer – essentiellement parce que, contrairement à Lumet (et quelque limite qu’on puisse trouver au plaidoyer bien-pensant de ce dernier), Placido ne semble jamais prendre position que par défaut vis-à-vis du dilemme qu’il filme. Le cloisonnement des protagonistes, la course contre la montre, le suspense des décisions de chacune n’inspirent pour toute mise en scène qu’un magma de champs-contrechamps relevant de façon flagrante du réflexe de techniciens télévisuels paresseux pour figurer grossièrement l’agitation dans le cercle. En guise de contrepoint et d’amuse-gueule, les scènes-intermèdes auprès de patrons égoïstes à souhait ne relèvent pas vraiment le niveau. Et puis, Placido butte encore plus sévèrement que Lumet sur une limite commune à leurs joutes rhétoriques : les typages de caractérisation qui bornent leurs personnages, définis par les scénarios pour justifier de façon binaire leurs décisions mais aussi les façons dont l’élément contradicteur va désamorcer leurs postures. Dans 7 Minuti, les déléguées sont identifiées dès leur apparition par des typages (la doyenne, l’égoïste superficielle, la femme battue, l’émigrée d’Afrique, l’Albanaise harcelée par un patron, etc.), et les échanges contradictoires qui suivent ne font que confirmer ces prédéfinitions, à quelques touches d’étrangeté près (comme les mimiques puériles dont Micaela, la femme battue, fait ses réparties, symptômes de sa fragilité psychique). Mais surtout, là où la mise en évidence de ces types pouvait constituer un point de vue sur la société (comme chez Lumet, un regard tant soit peu critique sur un certain conformisme à lézarder), elle ne fait ici que renvoyer chacune à son cas particulier, pour certaines – comme les émigrées – un cas sociétal dans l’air du temps, pour ne constituer à l’arrivée qu’un ensemble de constats sans consistance, où les considérations sur les injustices sociales (ne parlons même pas de colère) se diluent dans la forme désinvestie du récit.