Vengeances romaines. Rome, années 1970. Trois jeunes malfrats, Le Libanais, Freddo et Dandy, en quête de « gloire » et de revanche sociale enlèvent et suppriment un riche bourgeois, le baron Rosellini. Ils réinvestissent l’argent de la rançon dans le trafic d’héroïne et fondent avec le soutien de truands un gang afin de prendre le contrôle des réseaux de drogue et de prostitution. Leurs destinées croisent celles d’un commissaire hardi et ambitieux, d’une putana éprise et d’une jeune femme sans histoire au physique de madone. Sans foi ni loi, supprimant, sans concession, obstacles et rivaux sur leur passage, ils s’allient avec la Mafia, gagnent la protection d’hommes influents et deviennent peu à peu les marionnettes d’un théâtre de feu et de sang dans lequel hommes d’État, gangsters, forces de l’ordre et terroristes s’agitent. Entre tensions sociales, luttes de pouvoir et assassinats, bienvenue dans l’Italie des « années de plomb » !
Ça commence comme une bonne vieille série des années soixante-dix. Le générique défile, la caméra se braque sur un visage : arrêt sur image et le nom du personnage se colle comme du sang à l’écran. Les présentations sont faites. Puis, ça s’agite : cadrages serrés, gros plans, montage à vif, la mise en scène des premiers « coups » du gang baigne dans une lumière blafarde qui émacie les visages de ces anges au cœur de pierre et à la dent dure : les enfants des rues sont devenus de jeunes caïds. Ils vont, au fil des années, ensanglanter les pavés de Rome et enflammer les cœurs avant de se perdre dans les méandres de l’Histoire. Le Libanais, Freddo et Dandy : voici un trio de choc pour des surnoms qui constitueront les titres de chapitres. Car, n’oublions pas que dans Romanzo Criminale il y a le mot « roman » et le film s’affiche comme une saga : Michele Placido mêle l’Histoire à la fable. Aux prises avec un passé, celui de l’Italie des « années de plomb », Romanzo Criminale s’attache les services de la fiction et conte un récit aux allures de légende : l’histoire d’une ascension et celle d’une chute.
Ce film est inspiré de faits réels, mais les personnages sont le fruit de l’imagination des auteurs, nous dit-on. Mensonge romantique ou vérité romanesque ? Le film de Michele Placido, adapté du roman de Giancarlo De Cataldo, transpose sur un mode fictionnel tout un pan de l’histoire de l’Italie, celle des « années de plomb » et du « terrorisme rouge ». Dans une époque chaotique marquée par de nombreux soubresauts politiques, la Mafia, les actes terroristes et les services secrets connaissent d’étranges collusions. À partir d’un roman « cinématographique », le réalisateur met en scène les destins tragiques de caïds assoiffés de pouvoir, dont le corps et l’âme brûlent tour à tour sous le feu des trahisons et se réfrigèrent d’actes vengeurs. Comment tracer la limite entre réalité et fiction ? Michele Placido choisit d’évoquer le terrorisme et les conflits politiques d’une époque à travers le point de vue d’une poignée d’individus dont la vie n’est que mensonge : les caïds se retrouvent peu à peu prisonniers des filets qu’ils ont eux-mêmes tissés. Il offre finalement une peinture très romanesque de cette bande de la Magliana, de ces destinées individuelles qui croisent et traversent souterrainement et en quelques coups d’éclat les tourments d’une collectivité. Pétris par le mensonge, la vengeance, le désir d’exil, lorsque tout autour d’eux se désagrège, les caïds perdent, par moments, leurs airs de marionnettes victimes des rouages d’une machinerie politique. Corrompus jusqu’au cou, les visages s’humanisent lorsque, tel un Freddo aux yeux de glace, ils sèment moins la mort qu’ils ne la portent en eux. Lorsque la fiction supplante l’Histoire et lorsque la réduction du champ et le resserrement des cadrages compriment les personnages, on finit par y croire.
Pendant deux heures et demie, on se laisse aisément transporter par un scénario habile, une belle direction d’acteurs et un rythme soutenu, qui entrecroise scènes d’action, règlements de comptes et épanchements amoureux. Mais c’est lorsque s’intercalent les images d’archives que le bât blesse. Le film se veut le reflet d’une époque, et les drames de l’Histoire ressurgissent : Aldo Moro, le président du parti de la Démocratie Chrétienne est enlevé puis assassiné, la gare de Bologne explose. Michele Placido déclare ainsi renouer avec une tradition du cinéma politique italien. Mais qu’est-ce que Romanzo Criminale ? Une saga se faisant l’écho d’événements politiques, sans aucun doute. Un film engagé, certainement pas. Et l’on reste parfois un peu trop dans le domaine du pur divertissement. Car au bout de ces deux heures et demie, le film nous fait l’effet d’un foyer de braises : ardent et incandescent, il s’éteint subitement dans nos mémoires. Peut-être parce que malgré ce brio, malgré ces odeurs de soufre, il manque l’ingrédient mystérieux, la saveur, le souffle qui rallumerait la flamme.