Le quatrième film de Lynne Ramsay, présenté à Cannes, est reparti auréolé du prix d’interprétation masculine pour Joaquin Phoenix et du prix du scénario. Le pitch annonce un film noir et âpre sur fond de ballade urbaine : Joe, un vétéran en stress post-traumatique, traverse Cincinnati pour corriger des pédophiles et rendre à leur famille des petites filles qui avaient été kidnappées. Un jour, il découvre lors d’une de ses expéditions vengeresses que le mal est plus endémique qu’il l’imaginait et qu’il contamine également les milieux politiques. Une interprétation formidable aurait pu transfigurer une intrigue affreusement classique et très complaisante à l’égard de la glauque banalité du mal. Néanmoins, la réaction de l’acteur lors de l’annonce du palmarès illustre bien son incarnation dans le film : obéissant au titre original (You were never really here, absurdement traduit), il ne semble pas vraiment là, enfoncé dans son siège, et l’annonce de son prix le réveille de sa torpeur. Comme un mauvais élève honoré d’une bonne note, il semble alors étonné d’être choisi et scandalisé par sa propre arnaque. Malheureusement, Joaquin Phoenix est aussi curieusement absent du film, tout en mutisme et en intériorité suggérée dans ce carnaval des horreurs. Il demeure, néanmoins, dans sa vulnérabilité sporadique, le seul point singulier du film qui dessine en filigranes une faiblesse masculine parfois touchante.
Faits divers
Ce revenge movie commence avec une fausse piste, une scène inaugurale moralement trouble. Une photo brûle et Joaquin Phoenix range des affaires qui semblent avoir appartenu à une enfant ainsi qu’un marteau ensanglanté. Nous serions donc plongés dans le quotidien d’un psychopathe. Le statut du personnage est, en tous les cas, indécidable. Très rapidement, le film entreprend néanmoins de laver cette tâche initiale, en s’employant à souligner le rôle de sauveur de Joe, son héroïsme bourru et son désir de rédemption. Le portrait des personnages cède donc au manichéisme : les uns sont déshumanisés (les sordides pédophiles) tandis que, lui, continue sa marche, avec un altruisme excessif presque christique. La ligne de crête entre la victime et le bourreau était plus trouble dans Taxi Driver, modèle qui semble hanter A Beautiful Day. Les déséquilibres du personnage de Joaquin Phoenix sont seulement évoqués dans des flashbacks simplistes qui soulignent la violence dont il a été témoin dans l’enfance ainsi que sur le front. Le reste du temps, le film se contente de dire son trouble de manière minimaliste en mettant en scène sa constante impassibilité. Or, il y aurait beaucoup à dire sur cet instinct sacrificiel et cette passion qu’il semble partager avec les tyrans pour la pureté et l’innocence. En ce sens, le film pèche par son rapport au mal. Celui-ci qui est évoqué sur le mode de la surenchère propre au fait divers. Ainsi, cette obsession inquiétante pour la cruauté semble curieusement refléter une forme de fascination chez la cinéaste qui échoue à dénoncer l’horreur qu’elle ne cesse d’esthétiser.
Lignes de faille
Certaines scènes viennent néanmoins nuancer cette partition binaire en attribuant aux personnages masculins une forme de vulnérabilité partagée qui fait tendre le film vers un examen de la virilité blessée. Le colosse qu’est Joe est ramené, par l’effet de contrepoint des souvenirs, à un petit enfant se bouchant les oreilles dans un placard. Les pulsions de mort qui habitent le personnage (il plonge dans l’eau froide comme dans Two Lovers) viennent également mettre à distance l’armure de force brute dont il s’est protégé. Parallèlement, le film renforce cette impression de fragilité par une série de petits instantanés plus ou moins réussis, allant de la maison de poupées que possède dans sa chambre un gouverneur abusant de son pouvoir à l’étreinte fragile entre deux hommes qui viennent de se battre à mort. Ces manières de souligner la peur sous le vernis de la violence auraient gagné à être multipliées. Ainsi, se serait peut-être densifié le propos de cette peinture souvent gratuitement sombre. Ainsi, le titre français du film (« It’s a beautiful day ») aurait peut-être pris son sens.