Pour traiter de la crise grecque, Costa-Gavras a fait le choix de se concentrer sur les quelques mois pendant lesquels Yánis Varoufákis, alors ministre des finances du gouvernement d’Alexis Tsípras, a vainement tenté de renégocier les conditions de l’aide européenne à son pays. La volonté de dévoiler l’envers du fonctionnement de l’Union et la duplicité de son discours avait de quoi intriguer mais, empêtré dans une héroïsation à gros traits de son personnage principal, Adults in the room n’est pas le grand film politique promis.
Le récit s’ouvre sur des images d’archives de manifestations en Grèce, au plus fort de l’austérité qui a conduit à la victoire de Syriza. L’ancrage populaire ainsi esquissé est toutefois rapidement laissé de côté au profit d’une description des arcanes du pouvoir européen, les rares représentations du peuple, caricaturales et bâclées, dénotant par la suite un manque d’intérêt total pour la dimension sociétale de la crise. Il y a tout d’abord une reconstitution gênante d’un sit-in de femmes de ménage au chômage, auxquelles le montage n’accorde qu’une unique ligne de dialogue, pour mieux se concentrer sur la disparition du costume du ministre. Plus loin, la foule hystérique qui assaille la limousine rappelle au mieux un rassemblement de groupies, au pire une attaque de zombies.
Un petit théâtre
Si le film se déroule principalement dans des bureaux, des couloirs de ministères ou dans les salles de réunion du Parlement européen, sa description du milieu politique ne se révèle guère plus subtile. L’enjeu dramatique réduit à l’extrême (Varoufákis veut imposer une renégociation du MoU que les autres membres de l’Eurogroupe refusent) devient un simple prétexte à des scènes théâtrales vidées de tout contenu politique (on ne saura jamais vraiment ce que contient l’accord). Le ministre grec, invariablement présenté en chevalier blanc qui refuse la moindre compromission et dont l’inexpérience institutionnelle bouscule les codes de la technocratie, multiplie les morceaux de bravoure – cf. ses discours à la presse dignes de numéros de stand-up et ses interventions décapantes devant ses pairs en forme d’éloges de la démocratie glorifiant ce peuple que le film ne montre jamais. Face à lui, le ministre allemand est forcément froid et cassant, le français trop chaleureux et hypocrite, l’envoyé d’Angela Merkel est glouton, les journalistes des girouettes malhonnêtes, etc. Seul le personnage de Christine Lagarde, étrangement épargnée par le film, est gratifié d’une certaine épaisseur (sans doute grâce à l’interprétation de Josiane Pinson). Cette galerie de seconds rôles inertes vient finalement nuire à la démonstration de Costa-Gavras en empêchant de faire sentir la cruauté feutrée d’un système dont les citoyens, au bout de la chaîne, subissent la violence de plein fouet.
La tornade
La propension du film à favoriser systématiquement l’efficacité dramatique à la construction d’un réel propos critique s’incarne dans son mépris affiché pour tout élément factuel ou documentaire. Passons sur la maladresse avec laquelle sont intégrées certaines images d’archives, les ruses déployées par le réalisateur pour ne pas montrer les visages des vrais protagonistes prêtant à sourire. Le plus problématique tient au traitement de l’expression citoyenne : les résultats des élections qui reviennent à deux reprises apparaissent par le truchement de diagrammes sur un poste de télévision où les chiffres interchangeables augmentent ou diminuent en direct sans plus d’explication. Avec ce procédé, Costa-Gavras inverse même un temps le résultat d’un vote crucial à la fin du film dans une recherche délibérée d’intensité narrative. Les chiffres économiques témoignant de l’ampleur de la catastrophe se détachent, quant à eux, des documents officiels pour se confondre dans un tourbillon indistinct au-dessus d’une table de réunion. Le film avance ainsi, aussi aveugle qu’une tornade.