En caricaturant la dérive d’un personnage mécanisé et sans âme, qui se mue en tueur en série pour retrouver du travail, Costa-Gavras dessert sa propre dénonciation pourtant prometteuse, de l’ultra-libéralisme et du monde de l’entreprise qui enferme ses outils humains dans la spirale de l’individualisme et de la concurrence.
Le film se veut en effet une parabole des effets dévastateurs du capitalisme, par le biais d’un ton noir et cynique qui est censé porter en soi toute l’absurdité et l’immoralité du récit. Le personnage incarné par un José Garcia à contre-emploi, représente la figure du bon père de famille, cadre diplômé au chômage depuis plus de deux ans, qui ne parvient pas à revenir dans le circuit, et ne trouve rien de mieux pour s’en sortir que d’éliminer tous ses présumés concurrents. L’histoire n’est donc que la répétition d’une succession de scènes sensiblement proches, illustrant chaque étape de la traque menée par le personnage, transformé en tueur à gages amateur.
Le semblant d’humour un tant soit peu décalé qui émerge du film est à cet égard entièrement basé sur les maladresses et les bévues de notre apprenti serial-killer : il tue la femme de son concurrent sans le vouloir, il achève sa victime en lui roulant dessus, il hésite dans le choix de son couteau de cuisine… Mais le comique macabre qui se dégage de ces scènes reste fade et plaqué, à l’image de l’ensemble du film. Si Costa-Gavras a sciemment construit son personnage autour de l’idée d’une mécanisation de ses actes, cette orientation contamine autant le scénario que les autres personnages.
Tout paraît ainsi artificiel, haché et dénué de justesse. José Garcia tremble à heures fixes, a des regrets très formels et de courte durée, enchaîne des meurtres dont la succession n’apporte rien au déroulement du film. La longueur de l’histoire ajoute encore à l’ennui qui s’en dégage. Le réalisateur n’a qu’ébauché ce qui aurait pu être un thriller psychologique ou une farce absurde. Le suspense reste quasiment inexistant, là encore du fait de la répétition des mêmes situations.
Si Ignacio Ramonet qualifie Le Couperet de « conte amoral » dans un article récent du Monde diplomatique, et en exalte la portée politique, on peut lui opposer que le message se rapproche davantage d’une philosophie de comptoir que d’une véritable critique des dérives de notre société de marché. Les formules « compression-délocalisation » qui scandent les apparitions des divers concurrents, sont vides de sens, tout comme le cercle vicieux par lequel se clôt le film, symbole de l’infinie reprise du crime et du turn-over des êtres les plus « productifs ».
Amoral, le film l’est certes, puisque le personnage principal est en définitive totalement déresponsabilisé. S’il assassine tous les autres candidats à la filière papier de l’entreprise Arcadia, c’est comme malgré lui, poussé par un monde capitaliste qui écrase chaque individu dans une logique d’inhumanité et qui automatise ses réactions en modelant morale, valeurs et personnalité. Dans cette optique, il est à noter le jeu intéressant que tisse le réalisateur à partir des affiches publicitaires présentes à l’image, basées essentiellement sur la femme objet, mais aussi sur des flashs presque « subliminaux », tels une main tenant une montre comme un poignard, ou encore le slogan « Nous réalisons vos rêves » qui passent sous les yeux de José Garcia alors qu’il vient de commettre un autre meurtre.
En ce sens, Le Couperet incarne à de trop courts moments l’illustration de l’emprise pernicieuse et déguisée des valeurs de la société de consommation sur notre quotidien. Mais l’ensemble du film reste tellement caricatural et mécanique qu’on ne peut y adhérer. La loi du plus fort imposée par le libéralisme sauvage n’excuse pas tout, et réduire la dénonciation nécessaire de la prégnance de l’économique sur l’humain à une forme de déterminisme vide et simpliste qui en dénature la portée, ne peut que décevoir, si ce n’est exaspérer.