Personnage phare – autant dire : produit phare – du romancier-exploitant en best-sellers James Patterson, on peut se demander pourquoi Alex Cross, enquêteur et psychologue légal du FBI, n’a pas encore suscité de série télé. Le cinéma, lui, en a tiré à ce jour trois films : Le Collectionneur (G. Fleder, 1997), Le Masque de l’araignée (L. Tamahori, 2001) et cet Alex Cross qui est une sorte de prequel des précédents en même temps qu’un reboot de la franchise, revenant sur son passé d’inspecteur de police de Detroit. Les deux premiers étaient d’une médiocrité bien représentative du tout-venant de l’époque post-Silence des agneaux, jouant paresseusement de la perversité de leurs criminels, avec pour seule vraie plus-value – commune – la prestation irréprochable de Morgan Freeman dans le rôle principal, même « typecasté » suite au succès de son rôle de vieux flic sage dans Seven de David Fincher. L’héritage s’avère bien lourd à porter pour ce troisième épisode, qui ne parvient à étonner qu’en reproduisant fidèlement, en pire, les tares de ses aînés : perversité de bazar, retournements de scénario tirés par les cheveux et ne perturbant en rien la prévisibilité permanente, rythme laborieux, personnages jamais intéressants, etc. Et s’ajoute ainsi deux handicaps, majeurs : l’anachronisme criant (c’est bien en 2012 que ce reliquat des fonds de tiroir des années 1990 a été produit), et l’absence du joker Freeman pour le sauver du néant. Ce dernier point résulte par ailleurs de la seule vraie source de curiosité que suscite le film : voir ce rôle de polar tenu par un certain Tyler Perry, peu connu en France, mais reconnu aux États-Unis où il officie comme acteur, réalisateur et producteur indépendant de comédies et de drames autour de la communauté noire.
Hors circuit
C’est Perry qui, dans les cinq premières minutes, donne les premiers signes d’abandonner toute espérance. Dès que, dans une scène de course-poursuite, on le voit à couvert, tenant son arme repliée vers le haut comme même les policiers de séries télé actuelles n’osent plus le faire (posture tout sauf réaliste), le regard semblant chercher le prompteur pour lire son texte, on devient aussitôt blasé et résigné. Et la suite ne fera strictement aucun effort pour nous tirer de cet état, au point de nous réduire à l’inventaire des tares que la chose prend plaisir à collectionner :
– personnages de cliché jamais crédibles, jusqu’au moindre second rôle, le summum de la ringardise étant atteint quand ne surgissent pas une, mais deux caricatures de nerds à lunettes, gras du bide, aux cheveux longs et au vocabulaire mystérieux ;
– léthargie généralisée de l’ensemble des acteurs, où on a beau chercher, on n’en compte pas un pour racheter l’autre, le pompon revenant au rescapé de la série Lost Matthew Fox en tueur à gages sadique de foire – rôle qui l’autorise néanmoins à être plus expressif que Tyler Perry ;
– intrigue resucée jusqu’à l’évidement, rejouant le jeu du chat et de la souris entre flic et psychopathe : bien entendu, cela tourne au duel par téléphone, la famille du premier prend très cher, celui-ci flirte avec la ligne rouge juste parce que c’est dans les règles du genre (le film prend soin de ne convaincre personne, même pas lui-même, du trouble posé par ce policier prêt à tricher avec la loi), etc. ;
– emballage amorphe de l’incurable tâcheron Rob Cohen (Fast & Furious, XXX, La Momie 3…), tout juste bon à s’exciter sur place pour faire mine d’impressionner un peu (bouillie rigolote de plans filtrés en orange à chaque fois qu’il faut rappeler que le méchant est un dangereux psychopathe), et à parsemer son film de bagnoles bien voyantes (signature d’auteur, sans doute).
C’est qu’Alex Cross n’est pas simplement nul. Sa nullité ressemble à une capsule temporelle que des producteurs en manque d’inspiration auraient eu la tragique idée d’ouvrir, tant les choix consternants qu’il accumule nous paraissaient pourtant voués à l’oubli, tics depuis longtemps récupérés par une routine télévisuelle elle-même passée de mode, même dans le format le plus traditionnel de la série policière. À ce propos, sur le thème de la psychologie criminelle, le film lâche un clin d’œil peut-être involontaire à la petite lucarne : la présence (bien grand mot) de l’actrice Rachel Nichols, dont on se souvient du rôle récurrent dans la saison 6 de la série Esprits criminels autour d’une équipe de profileurs du FBI. Série pas toujours subtile, s’appuyant trop sur un schématisme de la déduction psychologique, le moindre de ses épisodes contient néanmoins plus de crédibilité, d’enjeux et de tension que le présent ersatz de thriller sans chair.