Alors que l’adaptation cinématographique de Miami Vice vient juste de débarquer sur nos écrans, il semble urgent de se replonger dans le visionnage de la série originale, dont la deuxième saison vient de sortir dans son intégralité chez Universal. Après vingt ans, et à la lumière de l’œuvre de Michael Mann, un de ses créateurs, une constatation s’impose : cette série, loin des clichés rétros qu’elle véhicule, s’est bonifiée avec le temps, et ne peut définitivement plus être prise à la légère.
La première chose qui saute aux yeux lorsqu’on revoit ces épisodes, vingt ans après leur première diffusion télévisée, c’est qu’ils représentent, mis bout à bout, une efficace photographie du paysage cinématographique américain des années 1980. Bénéficiant de budgets importants, chaque épisode se rapproche plus d’une esthétique cinéma, et les épisodes doubles, tel le Prodigal Son qui ouvre magistralement cette deuxième saison, avec une durée de 95 minutes, semble avoir bénéficié d’un soin qui dépasse de loin les standards télévisuels de l’époque.
Acteurs, réalisateurs, scénaristes : on retrouve sur l’ensemble de la série de grands noms. Bruce Willis ou Michael Madsen y ont fait leurs premières armes, tandis que des réalisateurs à la mode comme Abel Ferrara, ou des scénaristes confirmés comme John Milius, ont porté la série par leur talent. Pour se faire une idée plus précise, voici une liste (non exhaustive) des guests qu’on retrouve plus particulièrement lors des 22 épisodes de cette deuxième saison : des acteurs, Pam Grier, Dean Stockwell, John Leguizamo, Arielle Dombasle ; tout un tas de musiciens, tels Miles Davis, Little Richard, Phil Collins, Leonard Cohen et Frank Zappa ; et des célébrités diverses et variées, Eartha Kitt, le mannequin Iman (future Bowie) ou encore Bianca (ex-) Jagger. Bref, tout le monde voulait en être. Et vu qu’au bout du compte tout le monde (ou presque) en était, il est finalement inutile d’aller chercher plus loin ; tout ce que les années 80 ont à offrir de mieux s’y trouve, Miami Vice étant un excellent témoin de son époque. Mieux encore, la série ira même jusqu’à dicter de nouvelles habitudes vestimentaires à ses spectateurs.
Certaines rencontres entre des créateurs de mode et des cinéastes ont particulièrement marqué les esprits, au point d’en devenir représentatives de l’époque. Ralph Lauren, en habillant des pieds à la tête Woody Allen et Diane Keaton dans Annie Hall, s’est fait le porte-parole du chic décontracté new-yorkais des années 1970. Là, époque (et surtout ville) différente, c’est Gianni Versace qui fournira aux héros leurs costumes pastels, pantalons à pinces portés sans ceinture, blousons à manches raglantes et autres tee-shirts à col échancré. Ajoutez une paire de Ray-Ban Wayfarer à tout ça, et vous aurez une petite idée de ce qu’à pu être la mode il y a vingt ans en Floride : certes chic et décontracté, là aussi, mais surtout définitivement tape-à-l’œil, à l’image de cette ville de Miami, qui recherchait à cette époque à redorer son image en devenant un des hauts lieux du tourisme friqué aux États-Unis.
Mais cette esthétique très datée années 1980, c’est celle de Michael Mann : les maisons de ses héros, que ce soit dans Manhunter ou dans Heat, ont souvent des grandes baies vitrées qui donnent sur la mer. Quant au costume que porte Tom Cruise dans le récent Collateral, il nous ramene vingt ans en arrière. Aussi, dans cet univers très cohérent, on commence à avoir l’impression (qui n’est pas pour nous déplaire, bien au contraire) que Michael Mann refait toujours le même film, apportant à chaque nouvel opus de fines nuances à son œuvre, se permettant de l’enrichir au fur et à mesure, quitte à pousser le vice jusqu’à se remaker lui-même, comme il l’a fait en reprenant L.A. Takedown six ans après, pour en faire Heat (et au passage, un chef-d’œuvre). Quant au personnage interprété par Pacino dans ce dernier, et l’échec de sa vie conjugale, on trouve déjà dans l’épisode pilote de Miami Vice son origine : impossible en effet de pouvoir espérer mener une vie de famille normale quand on s’appelle Sonny Crockett et qu’on traque le criminel sur son terrain, en n’ayant d’autre choix que de se mettre au rythme de celui-ci. Et si toute histoire d’amour semble tout d’un coup hors sujet, en revanche, un tel climat vous forgera des amitiés d’une solidité à toute épreuve (« Deux flics amis-amis », ironisaient les Nuls à l’époque).
Si Miami Vice constitue une radiographie de l’époque dans laquelle elle s’inscrit (soit de 1984 à 1989), la série, par sa tonalité réaliste et sombre, a tiré par le haut le niveau de la série policière traditionnelle, et a imposé en cinq saisons un univers solide, qui doit beaucoup à un élément jusque là peu exploité dans les productions télévisées d’alors : l’utilisation de la musique.
Il est difficile en effet d’évoquer Miami Vice sans mentionner le travail de Jan Hammer. Outre le célèbre thème du générique, c’est plus de trente minutes de musique originale que celui-ci composait pour chaque épisode. Après Sonny Crockett et Ricardo Tubbs, c’est probablement lui le troisième personnage principal, tant son empreinte est importante sur l’ensemble de la série. Et si Sergio Leone voyait en Morricone son plus précieux « scénariste », les compositions de Hammer (qui, s’il excelle dans l’écriture et l’orchestration de thèmes d’action, n’est jamais aussi bon que lorsqu’il livre des ambiances mélancoliques et planantes) sont précieuses, en ce qu’elles nous renseignent sur les parcours sentimentaux et intimes des personnages, de manière plus subtile et efficace qu’une voix-off ne pourrait le faire.
L’autre grande particularité musicale de la série, c’est l’utilisation de morceaux d’artistes récents et dans l’air du temps, tels U2, Roxy Music, ou The Damned pour ne citer qu’eux. Un de ces morceaux, le « In the air tonight » de Phil Collins, qui illustre une scène culte de l’épisode pilote, où nos deux flics filent dans la nuit dans leur Ferrari Daytona Spyder, est devenu à ce point emblématique et indissociable de la série, qu’on ne s’étonnera pas de l’entendre à nouveau dans la toute récente adaptation cinématographique, mais cette fois dans une version plus moderne, par le groupe Nonpoint. Là encore, Miami Vice innove et impose un nouveau standard, et sera logiquement une des toutes premières séries à bénéficier d’une diffusion en stéréo à la télé américaine. On retrouve donc tout naturellement ce son stéréo pour la piste française du DVD, tandis que la piste anglaise a quant à elle bénéficié d’un nouveau mixage en 5.1.
En guise de supplément, un court documentaire de dix minutes intitulé Ride with Vice nous est proposé, qui revient sur la participation d’un vrai flic de la police de Miami de l’époque, Bob Hoelscher, qui fut embauché en tant que conseiller technique, et selon lequel « la qualité est dans le détail ». Inutile de préciser qu’avec une telle vision, l’homme a dû plaire à un Michael Mann obnubilé par la quête de réalisme dans le traitement des histoires, ce réalisme qui différencie tant Miami Vice des précédentes séries policières, toutes plus ou moins approximatives dans leur évocation des moyens utilisés par les personnages pour combattre le crime. Ici, des procédures aux armes et leur maniement, en passant par les figurants (des vrais policiers en vacances), rien n’est laissé au hasard, faisant de Miami Vice une référence que les futures séries s’évertueraient à au moins égaler. Loin d’être anecdotique, ce petit sujet, en recueillant le témoignage d’un homme resté dans l’ombre, mais dont le travail se ressent dans chaque épisode, tend à montrer que par le soin apporté à la réalisation de cette série, et la recherche de qualité permanente, il y a bel et bien eu un avant et un après Miami Vice. Vivement la troisième saison.