Italien d’origine égyptienne, Nader porte des lentilles bleues comme un étendard de son identité italienne. À Ostie, dans la banlieue de Rome, son désir d’indépendance et d’intégration se heurte aux valeurs traditionnelles de ses parents, qu’il considère d’un autre temps et d’un autre monde. Son amour pour Brigitte, Italienne de souche, galvanise ce tempérament fougueux. Mais quitter sa famille pour vivre selon ses propres normes n’est pas sans risque, quand, dans la rue, la solitude et la violence guettent.
Héritage
Le travail de Claudio Giovannesi s’appuie sur des intentions fortes, à vouloir explorer les particularités d’une société italienne, dont les mutations culturelles et sociales liées à la pluriethnicité sont éclipsées du débat politique et peu appréhendées par le cinéma transalpin. Le titre du film révèle d’ailleurs l’engagement du projet, en citant les mots de Pier Paolo Pasolini dans le recueil Prophétie (1962). Le poète et cinéaste annonçait l’émergence des « Ali aux yeux bleus » en Occident, enfants de l’immigration tiraillés entre des cultures contradictoires. Mais, dans la vision pasolinienne, ces Ali seraient les nouveaux révolutionnaires du monde ouvrier, quand Giovannesi décrit le parcours d’un individu égaré, condamné à l’impasse. Dans Ali a les yeux bleus, la fascination pour les armes, le rapport contrarié avec les filles, la rixe qui tourne mal, la fuite face aux hommes de mains ne sont que des soubresauts dans le cercle vicieux d’une errance narcissique. Comme un écho à La Notte Brava, réalisé par Mauro Bolognini en 1959 (d’après le roman I Ragazzi de Pier Paolo Pasolini), la peinture d’une adolescence marginale sur le littoral romain se voudrait radicale. Loin de la beauté historique du centre, le Lido de Rome sert plutôt de décor circonstanciel à une rébellion brouillonne et vite essoufflée. Ali a les yeux bleus décrit une jeunesse autocentrée et guidée par ses pulsions (amour, sexe, colère, jalousie…). Ce constat amer a toute sa valeur, mais il perd de son crédit quand l’impasse du personnage devient celle du film.
Carcan du réel
Ce projet de fiction découle d’un travail documentaire avec des jeunes Romains nés de parents immigrés (Fratelli d’Italia, 2009). C’est dans ce cadre que Giovannesi découvre Nader, son conflit brutal avec ses parents et son amour clandestin pour Brigitte. De cette rencontre naît le scénario d’Ali a les yeux bleus, nourri des récits de l’adolescent, de son entourage et de ses amis, sur le quotidien de banlieusards aux origines diverses. Ainsi le film met en jeu toutes les questions identitaires, culturelles et religieuses possibles autour de la figure de l’enfant de deuxième génération. Mais ces enjeux apparaissent progressivement comme un ressort dramaturgique poussif dans un film d’abord fasciné par ses interprètes, et plus particulièrement son acteur principal, dont le point de vue conditionne une mise en scène construite sur l’obsession d’un portrait fidèle. Dans la tristesse des terrains vagues d’Ostie, Giovannesi parcourt finalement un terrain cinématographique balisé. Au-delà de la filiation pasolinienne, on retrouve le découpage journalier de La Haine et les dialogues entre Nader et ses parents ont déjà été entendus cent fois, et avec un caractère parfois bien plus percutant. Rappelons-nous, l’an passé, la virulence des jeunes protagonistes de Rue des cités face à l’archaïsme culturel de leurs parents maghrébins. Certes, chez Giovannesi, le jeu des jeunes interprètes non professionnels dégage aussi une énergie sensible. La synergie du duo Nader / Stefano, amis à la ville comme à l’écran, construit la colonne vertébrale d’un film qui s’y repose un peu trop. Avant tout attendri par Nader Sarhan, Giovannesi ne dit rien de plus avec cette fiction qu’il ne le faisait par le biais du documentaire.