Marronnier estival, le nouveau Pixar répond toujours à l’appel depuis maintenant treize ans. La qualité étonnamment constante de chaque production du studio souligne cruellement la déliquescence de l’animation traditionnelle made in Disney (souvenons-nous des récentes calamités comme Frère des ours ou La ferme se rebelle…). Plus qu’une mutation technologique, cette passation de pouvoir répond à des motifs d’innovation créative : quoique numériques, les films Pixar brillent d’abord par leurs scénarios inventifs et leur facétieux souci du détail. La cuvée 2009 suit les pas des précédentes et mêle une nouvelle fois intelligence du propos et magie de l’animation pour offrir ce qui se fait de plus digne dans le dessin animé grand public.
La presse glose beaucoup ces dernières années sur la réussite insolente de la boîte Pixar, insérée dans la Walt Disney Company mais résistant à son attraction entropique. On a beaucoup parlé des chemises hawaïennes de John Lasseter, des séances d’écritures dans des motels pourris, des déchiquetages de notes d’intention venues de la maison-mère… On en a tant dit à ce propos qu’on ne sait plus très bien trier ce qui relève du mythe et de la réalité, au point de se demander si la mise en avant de la coolitude un peu branchouille des studios d’Emeryville ne fait pas partie d’un plan de communication savamment étudié… Force est cependant de constater que le système mis en place par Lasseter et ses acolytes porte ses fruits, tant le décalage est grand avec les tentatives, plus ou moins vaines, de DreamWorks (Kung Fu Panda, Monstres contre Aliens…) ou de la Fox (L’Âge de glace 3). Concurrencer Le Monde de Nemo ou Monstres et compagnie n’est pas donné à n’importe quel projet industriel, les gros mastodontes du marché oubliant souvent que la joie de créer, l’envie de surprendre et d’innover laissent des empreintes durables à l’intérieur même des films. Les films Pixar proposent toujours cet espace ludique qui parle au spectateur, loin du chiqué condescendant trop souvent constaté dans la production californienne à destination du jeune public.
Si la sincérité du geste est évidente, si le modèle privilégié est celui du prototype original (malgré l’annonce d’un troisième Toy Story en 2010), il n’en reste pas moins que la réussite des films estampillés Pixar reposent sur quelques règles immuables, celles-ci se déclinant, comme attendu, dans Là-Haut. Au risque de mettre en avant un retraité solitaire – le cours de l’action Disney a significativement baissé lors de l’annonce du projet – répond l’ajustement nécessaire : adjoindre au pré-grabataire un jeune enfant, naïf et enjoué, auprès duquel le spectateur peut s’identifier. La logique du duo antagoniste mais complémentaire est une constante, de Woody et Buzz l’Éclair à WALL-E et EVE. Une autre marque de fabrique, déjà fortement perceptible dans WALL-E, est la scission du scénario en deux grands segments. Là-Haut prend d’abord son temps, explore les possibilités de l’univers fantasmé par ses créateurs. À l’instar du précédent film qui laissait son robot flâner dans les méandres d’une mégalopole abandonnée, le film de Docter et Peterson pose calmement ses personnages en leur allouant l’espace nécessaire à une véritable personnalisation des caractères et des comportements. De ce luxe, pas si fréquent au sein des blockbusters, peut naître la magie d’un instant, d’une séquence comme celle d’introduction, résumant en quelques minutes la vie d’un couple épris d’aventure et de candide complicité, où le rire succède aux larmes, très chaudes. À la suite de cette remémoration, Carl Fredricksen décide de s’envoler en Amérique du Sud pour réaliser l’un de ses plus vieux rêves, toucher du doigt les fameuses chutes du Paradis. Le jeune scout Russell va involontairement et maladroitement l’accompagner dans un voyage effectué dans un salon… d’une maison attachée à mille ballons et survolant l’Amérique Centrale. À cette première partie succède un plus traditionnel enchaînement d’aventures, de courses-poursuites endiablées avec moult animaux extraordinaires et rebondissements picaresques. Après la poésie sensible et impressionniste prend place le tumulte, histoire de capter l’attention hagarde des plus petits ou des plus impatients. La mécanique est diablement rodée, terriblement efficace. Légèrement lassante, aussi.
Malgré ces garde-fous scénaristiques un peu pénibles, il serait malveillant de bouder son plaisir. L’animation est toujours d’une fluidité et d’une évidence qui forcent l’admiration, cette fois parachevée par une utilisation adéquate de la 3D. Habitué à la gadgétisation de cette technologie (le manège de foire Voyage au centre de la Terre), le spectateur sera surpris de constater l’effet immersif et enveloppant du procédé quand il est judicieusement mis en scène, avec sobriété et sans l’esbroufe de comètes se désagrégeant à quelques centimètres du visage ou d’un chien qui éternue face au public. Au-delà de cet exploit tout en retenue, ce que l’on retient d’abord du film est le portait dénué de sensiblerie mais empreint d’une grande sensibilité de ce vieillard en fin de cycle, liquidé par les avatars du monde moderne, reclus dans sa solitude face à un monde qu’il imagine désormais vide de tout autre rêve que mercantile et consommable. C’est en se confrontant à l’ailleurs, à l’au-delà des frontières d’un pays dont il veut s’échapper qu’il renaîtra à l’empathie et à la vie sociale. Ça sonne comme une morale de scout – le petit Russell en est un, un de ceux qui courent après les médailles de récompense – mais ça remplit un cœur.