Le réalisateur Stéphane Demoustier, auteur en 2014 d’un premier long métrage (Terre battue), signe avec Allons enfants un film de 59 minutes présenté au dernier Festival de Berlin. Il y raconte l’après-midi de deux jeunes enfants, Cléo et Paul, qui, à l’occasion d’un jeu, échappent à la vigilance de leur nounou et s’égarent dans Paris. Allons enfants est un film spontané, marqué par la simplicité de son écriture et la légèreté de son dispositif filmique, qui cherche avant tout à capturer un présent qui est à la fois celui de l’enfance et celui du contemporain parisien. Le potentiel de fiction engendré par le pitch (les aventures de deux enfants dans une grande ville) ne fait pas l’objet d’une réelle dramatisation, il est au contraire prétexte à une errance naïve, observatrice et ponctuée de jolies rencontres.
Germes de fictions
Le film construit en réalité deux fictions enchâssées. La première, celle de l’errance des enfants dans Paris, est élaborée sur une base fragile : l’inattention initiale de la nounou semble un peu forcée et tourne presque au ridicule lorsque celle-ci finit par renoncer à retrouver Cléo et par abandonner Paul sur un manège. On comprend bien que son infirmité (elle boîte et se déplace avec difficulté) est un artifice pour déclencher le départ des enfants, mais son manque de lucidité lorsqu’il s’agit d’organiser la recherche reste un peu gênante et ressemble à une faiblesse d’écriture, pour un film qui cherche à s’inscrire dans un cadre réaliste. Le récit se poursuit ensuite comme une odyssée miniature, avec autant d’étapes et de rencontres qui mènent aux retrouvailles. Pour autant, la seconde fiction, interne celle-ci à l’histoire, est beaucoup plus convaincante : elle se joue lorsque Louise (Vimala Pons), la jeune femme qui prend en charge malgré elle la surveillance de Cléo, joue le rôle fictif de mère le temps d’un après-midi. Ce basculement involontaire, initié par un quiproquo lorsqu’elle rencontre son ex qui la félicite pour sa maternité, est progressivement assumé et même entretenu lorsqu’elle se laisse prendre par la tendresse d’un bain et d’une sieste. De jolis moments de grâce naissent ainsi dans cette fiction de maternité qui se noue peu à peu entre Louise et Cléo.
De jeunes flâneurs
Il ne fait nul doute que ce dispositif est en réalité un prétexte à développer deux intentions : filmer au plus proche l’enfance et enregistrer Paris dans une perspective quasi-documentaire. En plaçant sa caméra à la hauteur des enfants, et en choisissant d’opérer avec une équipe très réduite, Demoustier parvient à capter à la fois le naturel du jeune duo (mouvements, visages, voix qui sont généralement improvisés dans ce canevas général) et à y intégrer leur environnement géographique direct. Le parcours du film, situé autour du bassin de la Villette et du 10ème arrondissement, permet au réalisateur de filmer les architectures démesurées du parc, les formes et les couleurs des passerelles, dans la continuité des préoccupations qui sont les siennes dans le reste de sa production (sa société, Année Zéro, a produit plusieurs documentaires d’architecture). En arrière-plan des enfants, ou sous la forme de plans de coupe, la Villette est présentée comme un labyrinthe un peu étrange, au bestiaire bigarré. Car derrière la forme de la ville se dessine aussi un commentaire à deux étages de la vie parisienne. D’un côté, Demoustier porte un regard critique sur les Parisiens dont la caméra ne saisit que certains membres (les jambes principalement, ou les mains accrochées à un téléphone à la recherche des monstres du jeu Pokémon Go). Ce découpage des adultes renforce le sentiment d’isolement des enfants auxquels nul ne prête attention. De l’autre côté, le réalisateur pose un regard discret sur le contexte politique (celui du Paris post-attentats) qui n’apparaît qu’incidemment, à l’occasion d’une rencontre de Paul avec des militaires, de quelques couronnes de fleurs devant le Bataclan et d’une esquisse de la place de la République. C’est sans doute la force du film que de parvenir, l’air de rien, à renouveler le regard porté sur Paris tout en l’inscrivant dans un temps très contemporain : en adoptant l’échelle de ces enfants, Demoustier présente un monde perçu avec innocence, démesuré et déformé par cette perspective, mais dans lequel demeure la possibilité de vivre de nouvelles histoires.