« Regarde comme c’est beau ! » En repérage dans le parking d’une zone commerciale du Nord-Pas-de-Calais pour monter son propre magasin, Jérôme, cadre fraîchement viré de l’enseigne Devianne, tente de transmettre à son fils son amour pour les grands magasins. En vain : « Non c’est pas beau, c’est horrible » lui rétorque Ugo, 11 ans, petit prodige du tennis. Un sport auquel son père ne comprend pas grand-chose. Chacun a sa passion. Chacun est prêt à tout pour parvenir à ses fins. L’ambition et ses déconvenues dans le monde impitoyable de la concurrence, tel est le sujet de ce film… peu ambitieux, pourtant présenté à la Semaine de la critique de la dernière Mostra de Venise.
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Le projet de mener de front la double trajectoire déceptive de ces protagonistes en mettant en parallèle les univers du travail et du sport avait pourtant de quoi nourrir de puissants enjeux narratifs. Et ce d’autant plus que le rapport père-fils ramenait ces tensions dans le cercle familial. En cela, la trouée que forme la figure maternelle, laquelle disparaît peu à peu du récit face à leurs aspirations envahissantes, jusqu’à s’en absenter totalement, problématise judicieusement l’enjeu qui sous-tend ce drame : le dévoilement progressif du désamour. Sur le fond, on ne peut guère dire que le premier long-métrage de Stéphane Demoustier, frère d’Anaïs, est un mauvais film : il a rempli son cahier des charges et ficelé un scénario sagement tenu jusqu’au bout, sans jamais déborder le programme validé par l’avance sur recettes obtenue en 2012. Il a confié le premier rôle à Olivier Gourmet, valeur sûre du cinéma naturaliste. Et il faut voir celui-ci crier son amour pour les supermarchés à son épouse qui, sans nulle doute, aurait aimé être l’objet de telles déclarations. Mais il est trop tard : Valeria Bruni-Tedeschi en fait déjà des tonnes avec son fameux air mi-déprimé, mi-ahuri.
Comme on aimerait pourtant la voir transpercer l’écran cette passion improbable pour les centre commerciaux, transfert vers l’idéologie de la réussite d’un amour fané ! Comme on aimerait la saisir la beauté des parkings ! Comme on voudrait avoir la gorge serrée face à un plan, ne serait-ce qu’un seul, capable de transformer ces mots de Jérôme en matière visuelle ! Être émoustillé par l’érotisme latent d’une chaussure en plastique dont il s’apprête à faire son business ! Non, nous resterons comme Ugo, insensible parce que jamais invité à la voir autrement que par une injonction. Terre battue, sans cesse, semble s’interdire – fainéantise ? couardise ? – la moindre alternative aux balises de l’écrit, scénario et dialogues.
Rester en fond de court
Tout pourtant dans ce film invite à dépasser le verbe pour aller vers les nuances corporelles : plaisir, désir, passion, cohabitation, entraînement, compétition, séduction – de l’être aimé comme des financeurs. Mais on ne filme pas le corps et ses transports mollement en restant au fond du court. Si Demoustier se rêve incontestablement en troisième larron de la fratrie dardennienne, il le fait avec cette paresse qui croit encore que le cinéma d’auteur peut prendre vie en adoptant quelques-unes de ses figures emblématiques, jusqu’à les étouffer dans l’académisme. Dès l’entame, Demoustier accompagne Jérôme en plan-séquence, le cadre à la taille, en fait la proie d’une signature muée en convention. Comme si certaines figures pouvaient, devaient être des preuves de prouesse aptes à sauver un film de sa platitude. Ne parlons même pas de la fadeur des images, label incontournable qui prive de lumière le Nord lorsqu’il se doit de défraîchir sous le diktat du réel. L’entraîneur d’Ugo lui dit bien d’avancer au filet. De prendre des risques en somme. Mais le réalisateur se contente de suivre des corps sans les inscrire dans l’espace, rayonnages géants ou terrains de tennis, sans les confronter à l’autre. Et on aura rarement vu ce sport si mal filmé, privé des puissances de profondeur de champ ou de champ-contrechamp, abandonné à une traque peu inspirée. Le plan reste moyen, dans tous les sens du terme. On regarde Terre battue comme un match où chacun attend que son adversaire face des fautes pour marquer les points.