Par son titre trompeur, La Fille au bracelet annonce déjà la crise de la stabilité qu’il va mettre en œuvre : le bracelet dont il est ici question n’est pas une jolie chaîne au poignet, mais un bracelet électronique porté à la cheville par une adolescente accusée du meurtre de sa meilleure amie. L’enjeu du film tient dans la création d’une figure mouvante qui émerge pourtant dans l’espace figé d’une salle d’audience, où les places sont assignées et où chaque geste doit obéir à un protocole. Le film livre un récit réaliste du procès, en adoptant le point de vue des parents de l’accusée, interprétés par Roschdy Zem et Chiara Mastroianni. Jour après jour, les témoignages et les pièces à conviction s’accumulent et semblent tous incriminer Lise, mais aucune ne prouve irréfutablement sa culpabilité : de bout en bout, le doute subsistera. En restant toujours sur ce fil, Stéphane Demoustier instaure une forme de tension particulière, un peu flottante : l’enjeu n’est pas tant l’issue du procès que la vérité même, et celle-ci ne peut que nous filer entre les doigts. Lise, en effet, ne répond jamais tout à fait aux attentes de ceux qui l’observent. On aimerait que cette toute jeune femme n’ait pas commis le crime horrible dont elle est accusée, mais elle s’en défend avec peu d’énergie. Elle apparaît soudain monstrueuse lorsque, face aux images du cadavre de la victime, elle n’est pas capable de répondre à la question : « Que ressentez-vous devant ces images ? ». Quelques minutes plus tard, elle riposte pourtant aux insinuations de l’avocate générale avec une telle pertinence que son aînée est décrédibilisée – Anaïs Demoustier est parfaite dans ce rôle qui exige de jouer incessamment la fausse naïveté.
Jugement personnel contre jugement d’État
À force de frustrer toutes nos aspirations à trouver un point stable auquel se fixer, une vérité indubitable, Stéphane Demoustier nous amène au-delà d’un cas particulier, vers une réflexion plus large sur le rapport de chacun à autrui et sur la difficulté d’accepter la complexité. Dans la salle d’audience, les regards ne cessent de se charger des affects suscités par les témoignages et de les renvoyer ailleurs. Force est de constater que le visage de Lise, qui garde généralement son sang-froid, reste toujours le même, et que c’est le nôtre qui projette sur ce masque différentes intériorités. Melissa Guers impressionne dans cette perspective par sa capacité à ne jamais surjouer cette troublante présence-absence. À travers elle, La Fille au bracelet soulève des questions propres à la jeunesse d’aujourd’hui tout en les inscrivant dans une histoire immémoriale du sexisme : Lise choque certains de ses aînés parce qu’elle s’est laissée filmer dans une situation intime, mais pourquoi l’impudeur du garçon n’étonne-t-elle personne ? Les relations entre les genres et les générations ne font cependant que souligner des phénomènes à l’œuvre dans tout type de relation à autrui : la tentation de juger, les conclusions potentiellement hâtives, la confusion possible entre jugement personnel et justice. À une époque qui a vite fait de créer des monstres, le film souligne à travers un cas pratique finement ouvragé les vertus de la modestie et de la prudence – aussi peu rassurantes soient-elles.