Barbare commence comme une mauvaise blague : une jeune femme, Tess, a loué une maison en Airbnb dans la banlieue de Detroit, mais lorsqu’elle arrive en pleine nuit, elle découvre que les lieux sont occupés par un autre locataire, Keith. Sur ce canevas très classique – celui de la mauvaise rencontre avec un inconnu – Barbare réussit une entrée en matière frappante et insolite, qui repose dans un premier temps sur une grande économie d’effets : à l’exception de l’orage et du sound design du générique (qui rappelle celui de Suspiria), aucun élément sonore notable ne caractérise l’entame du film, qui avance masqué. La caractérisation des deux personnages est importante : Keith est amateur de jazz et cherche des maisons abandonnées qu’un collectif d’artistes pourrait occuper ; Tess travaille quant à elle justement sur un projet de documentaire sur les artistes qui se sont installés dans les quartiers déshérités de la ville, « là où les maisons sont gratuites. » Plantée au milieu d’un quartier-fantôme, la demeure Airbnb, dont l’intérieur neutre, fonctionnel et épuré témoigne d’un goût très contemporain, a typiquement le profil d’une vieille maison rachetée pour une bouchée de pain. Toute l’astuce de Barbare consiste à déplier un certain nombre de pistes horrifiques autour de ce décor : les personnages comptent moins, en somme, que l’expérience qu’ils font d’un lieu et la découverte, à l’intérieur de celui-ci, d’une forme d’horreur sociale tapie dans les sous-sols.
La première piste serait celle du film néo-gothique (les teasers qui ont circulé sur les réseaux sociaux, depuis le succès-surprise de Barbare aux États-Unis, jouaient pleinement sur les codes du film de maison hantée, avec ses portes qui grincent et sa cave lourde de secrets), mais elle s’avère trompeuse. Si la cave constitue le lieu essentiel de l’histoire, celui où se révèlera progressivement un labyrinthe caché, elle n’est pas habitée par des fantômes mais par les résidents primitifs de la maison – idée qui n’est pas sans rappeler celle de Us de Jordan Peele, réalisateur avec lequel Zach Cregger partage un certain nombre de points communs. Tous deux viennent en effet de l’univers du show américain et essaient aujourd’hui de faire cohabiter dans le cinéma de genre entertainment et discours politique, avec plus ou moins de réussite.
L’inframonde
La deuxième partie de Barbare paraît moins tenue que son excellente entame. Un nouveau personnage, le propriétaire de la demeure, fait son apparition (Justin Long, que l’on retrouve ici vingt ans après Jeeper Creepers) et mesure les galeries souterraines au mètre près, dans la perspective d’une vente, comme s’il participait à une émission de Stéphane Plazza. Se dessine alors une autre piste, celle de la satire sociale horrifique, dans la lignée de George A. Romero et de Wes Craven : face aux rednecks qui dorment dans le ventre de la maison, il est difficile de ne pas songer à La Colline a des yeux, ou à l’excellent remake d’Alexandra Aja, qui explorait lui aussi un inframonde composé de cavités où croupissaient les parias américains. Si cette veine satirique n’a rien de neuf, la manière dont Zach Cregger l’investit est particulièrement efficace : le découpage des espaces et leur caractère disproportionné (petite maison/immense domaine souterrain) servent son propos sur la gentrification de Detroit, ville vendue à des communautés d’artistes qui repeignent ses ruines industrielles pour les exposer aujourd’hui sur Instagram. De ce point de vue, Barbare peut être vu comme la réponse du cinéma d’horreur à la tournée touristique des vampires de Jim Jarmusch dans Only Lovers Left Alive, ou aux errances vaines des personnages de Lost River de Ryan Gosling – deux films qui avaient pris Detroit pour cadre et n’en retenaient que la beauté décadente (chez Gosling, la ville était même filmée comme un musée de la ruine). Avec la brutalité qui caractérise le cinéma de genre le plus fidèle à ses racines, Zach Cregger reprend possession d’un territoire vampirisé par le cinéma d’auteur : la maison du 476 Barbary Street représente en quelque sorte son sous-sol caché ; elle n’est pas hantée, mais bel et bien toujours habitée.