Pour tous ceux qui, de l’arrivée dans la comédie américaine des délires régressifs, du recours débridé à la scatologie et aux situations sexuelles scabreuses, et plus généralement d’une bonne dose de politiquement incorrect, n’ont vu que la grande bouffée libératrice apportée au genre, un ratage comme Miss Mars a de quoi les inciter à une saine prudence.
Le pitch met à contribution une véritable institution américaine, et un très sérieux débat de société en passant. Jeune et vigoureux partisan de l’abstinence avant le mariage, Eugene s’apprête néanmoins, par amour pour sa petite amie du lycée Cindi, à enfreindre le principe qu’il défend lui-même avec beaucoup de conviction dans les écoles. Mais juste avant de passer à l’acte, un fâcheux accident le plonge dans un coma qui durera quatre années. À son réveil — provoqué de façon… un peu spéciale, il découvre avec horreur, ô rage et ô désespoir que sa pure et virginale sweetheart pose désormais nue dans Playboy. Lui et Tucker, son meilleur ami boulet à faire peur et obsédé sexuel émule du Stifler d’American Pie, vont parcourir plusieurs États pour retrouver la belle au mythique manoir Playboy, au milieu des playmates à caniche et devant un Hugh Hefner plutôt pépère dans son propre rôle.
Il ne manque plus que les rires en boîte
Avant d’écrire, réaliser et interpréter le supposé fantasme de milliers d’Américains — entrer dans le fameux manoir, donc, Zach Cregger et Trevor Moore ont été les créateurs et producteurs de The Whitest Kids U’Know, série à sketches satiriques diffusée sur le câble et qui ne lésine pas sur le trash. Premier écueil pour leur venue au cinéma : cela se voit. Leur inspiration télévisuelle dans ce qu’elle a de plus handicapant — le formatage qui corsète le rythme, le jeu d’acteurs et même l’humour — se laisse voir un peu partout, à commencer par ce découpage propret où chaque raccord d’une séquence à l’autre est réglé comme dans une sitcom, avec les notes de musique pour ponctuer la scène précédente. De même, les gags paraissent bien bridés. Quelques poussées de transgression qui n’atteignent pas vraiment le niveau d’audace de ce qui se fait ailleurs dans l’industrie (Eugene, ses muscles si faibles en sortant du coma que son sphincter le lâche régulièrement : bof) ne font entrecouper une série d’autres gags beaucoup plus poussifs (Eugene se fait souffler sa tenue de malade et se retrouve à poil : on est mort de rire, là) ou au mieux sympathiques comme un gentil cartoon (les deux compères pourchassés par des hordes de pompiers enragés maniaques de la hache : mouais).
Il y a surtout quelque chose de très déplaisant dans la manière dont les auteurs forcent leur comique agressif comme seule raison d’être de leur film, pouvant se passer de toute motivation. Car enfin, pourquoi d’autres films jouant d’une veine comique aussi contraire à la bienséance, les Waters, les Farrelly ou même d’autres moins extrêmes mais se risquant au trash, s’avèrent-ils si drôles, et ont même, pour certains, fini par atteindre un succès public ? Parce qu’au travers de leurs transgressions/régressions, leurs agressions du bon goût, leur goût pour l’absurde, ils savent faire ressortir plus ou moins directement certains aspects ou considérations de l’intimité humaine, consciente ou inconsciente, de ces petits détails et sentiments ténus qu’on n’ose pas toujours s’avouer. Une intimité sur laquelle ils portent un regard certes rentre-dedans et peu soucieux de la pudeur du public, mais fait de lucidité, d’empathie voire d’une certaine connivence, même en s’en amusant au travers des gags les plus crus et les moins ragoûtants.
Un rapport à l’humain et au monde dont les facéties de Cregger et Moore se révèlent parfaitement dépourvues. Ici, la déconnade ne s’exerce que pour elle-même, arbitraire, sans but et sans âme, et ses manifestations pipi-caca-cul ne volent pas plus haut que des caprices de sales gosses. Les personnages ne sont que des pantins écrits en deux mots et voués exclusivement à subir les petits délires décérébrés des auteurs, et si ces derniers nourrissent jamais une quelconque relation avec eux, ce n’est qu’une relation de mépris. Car la toute relative agressivité de leurs gags est moins dirigée contre le conservatisme ambiant — comme pourraient le laisser croire leurs piques poussives contre les relations complexées des Américains au sexe — qu’elle ne manifeste en réalité une attitude d’une grande mesquinerie qu’elle flatte chez son public. Dès qu’il s’agit de se trouver une cible de moquerie facile, les « whitest kids » ne rechignent pas à la beauferie la plus minable pour mettre les rieurs de leur côté : à voir comme ils traitent leur caricature ridicule de chanteur de R’n’B macho et hâbleur, finissant par le vouer à la honte en lui révélant une infirmité cachée et en érigeant cette déchéance en morale… Derrière ses singeries de transgression, le film n’a pas d’autre moteur que celui d’un rire gras sans risque et aux motivations finalement bien douteuses, auquel on préférera le déroulement cathartique procuré par, disons, Fous d’Irene : à la fois plus offensif, plus vulgaire, plus franc et plus salutaire.