Le matraquage publicitaire assourdissant qui accompagne Barbie ferait presque écran à l’ambition de Greta Gerwig, qu’il faut prendre au sérieux. Financé par Mattel, le film est bel et bien la comédie pop attendue, en même temps qu’une inévitable manne à merchandising. Mais la cinéaste s’attelle aussi à déconstruire – et à railler – l’image du produit phare de la firme, condensé de stéréotypes et égérie d’un féminisme de papier. En s’aventurant dans le monde réel, Barbie découvre non seulement que ce dernier se trouve en vérité aux mains des hommes, mais qu’en plus sa propre existence n’a en rien changé le quotidien des petites filles : la poupée a beau théoriquement avoir le pouvoir d’être « qui elle veut », elle reste au fond un cheval de Troie du patriarcat, qui fait son miel d’un empowerment inoffensif. En confrontant l’univers rose de Barbieland, terreau d’un jeu maniériste, à son envers, Gerwig livre une satire retorse et consciente de ses limites, mais qui jouit au moins d’une audace : celle d’être cultivée au sein même de la machine qu’elle s’attelle à détricoter.
L’opération pourrait être passionnante, si elle ne butait sur un double problème qui vient mettre à mal ses promesses. D’abord, et c’est presque le plus gênant, le film n’est pas très drôle, entre gags mécaniques, clins d’œil à tire-larigot et acteurs confinés dans des partitions trop familières (Will Ferrell en CEO idiot, Gosling qui joue de sa rigidité d’automate, etc.). Seule l’excellente Kate McKinnon, avec ses yeux exorbités et son art de la pantomime, sort du lot et vient ponctuellement casser le faux rythme atone dans lequel s’installe le récit, partagé entre Los Angeles et sa doublure de pastel. Ensuite, Gerwig mobilise, pour contrer le « patriarco-capitalisme » tirant les fils de la figurine, une imagerie elle aussi publicitaire : les souvenirs des humains qui jouent avec Barbie, ou le montage final compilant les facettes multiples d’une féminité arrachée aux injonctions, baignent dans une esthétique éthérée qui pourrait tout aussi bien être celle d’une réclame pour une confiture ou une complémentaire santé. Le serpent se mord la queue : d’un côté, le film assume dans la dernière ligne droite qu’il cherche à remplacer l’image du jouet par une autre (soit la définition d’une stratégie habituelle des publicitaires : le rebranding) ; de l’autre, il mobilise à ces fins une forme également normée pour mettre en tube son émotion et son propos.
En somme, il faut que tout change pour que rien ne change : si Barbie s’ouvre sur une parodie de 2001, l’Odyssée de l’espace et trouve sa résolution dans une chambre blanche presque kubrickienne, où les portes de l’univers et de sa compréhension s’ouvrent à la poupée, c’est plutôt son Guépard que vient de réaliser Greta Gerwig. Et Mattel de se frotter les mains pour ce plan de communication rondement mené.