Pour son premier film, Mohamed ben Attia réalise un drame social sensible et attentif aux nuances de son personnage principal. Hedi, jeune Tunisien renfermé et peu expressif, s’apprête à se marier à une jeune femme de son village, charmante mais visiblement choisie par sa mère. Il travaille chez Peugeot, avec peu d’enthousiasme et de talent. Le manque de résultats de l’entreprise conduit le patron à envoyer ses vendeurs sur le terrain à la recherche de potentiels clients. Hedi, comme les autres, est mobilisé. Cette mission, qui l’éloigne de chez lui, le rapproche de Rim, animatrice dans l’hôtel touristique où il descend. Le désir qui germe l’éloigne du destin que l’on avait tracé pour lui et le conduit, pour la première fois, à faire des choix.
Naissance d’une volonté
La mise en scène du film, très sobre, ressert le cadre sur son personnage dont elle tente tant bien que mal de percer la carapace. Le visage lisse et poupon, Hedi reste insondable malgré les plans serrés qui le cadrent sans cesse. Son seul lieu d’expression, le dessin, laisse entrevoir une souffrance intérieure qui explose lors d’un face-à-face mère-fils impeccablement joué. Ce parti pris d’un refus des fioritures et d’un suivi très rigoureux du personnage rappelle le cinéma des frères Dardenne, que l’on ne s’étonnera pas de retrouver à la production (Les Films du Fleuve). Hedi est à voir pour son traitement phénoménologique d’un parcours social et psychologique tortueux, d’un balancement entre enfermement et libération. L’épiphanie d’Hedi, principal moteur dramatique, survient donc lorsque Rim l’interroge sur ce qu’il veut vraiment faire de sa vie. Lui dessine. Des bandes dessinées. Ce qui dans sa bouche est un rêve, est pour elle un projet. Dès lors, son esprit s’entrouvre à la contestation et à l’autonomie. La parole qui lui a été donnée est vouée à se développer. Malgré une discussion incidente sur les printemps arabes, le film semble moins être le récit d’une libération sociale que d’une autonomisation psychologique. Les facteurs d’oppression, familiaux, relèvent davantage d’une relation cannibale mère-fils que d’un conflit social latent. L’horizon promis à Hedi, celui de vivre marié, au-dessus de chez sa mère, et d’occuper le nouveau travail qu’on lui propose chez son beau-père, s’efface au profit d’un départ brutalement romantique vers la France avec Rim. Pour autant, le film ne noircit pas le portrait maternel. À l’occasion de nombreuses scènes comiques, on découvre en la mère un personnage attachant mais autoritaire, intrusif, qui règne sur son territoire selon une vision de la « bonne vie » qui est la sienne. Rigoureusement écrit et mis en scène, Hedi peine à dépasser son programme mais constitue néanmoins une proposition juste et touchante.
La bulle et l’ailleurs
L’hôtel dans lequel Hedi est installé sert évidemment la possibilité d’une utopie ; lieu clos, d’enfermement volontaire à destination de touristes qui y cherchent calme et loisirs, c’est aussi un espace de retranchement ouvert sur la mer. La mise en scène de Ben Attia parvient à incarner spatialement, tout au long du film, les relations sociales et la libération psychologique d’Hedi : la cospatialité étouffante de la maison familiale est doublée par le confinement de la relation avec sa future femme à l’espace clandestin de la voiture, tandis que l’espace ouvert par son travail de prospection pour Peugeot, dont il s’écarte rapidement au profit de la plage, rend possible une autre vie. La contrainte de s’éloigner du foyer devient opportunité ; c’est dans ce tiers espace, entre foyer et travail, qu’Hedi se laisse captiver par Rim, et qu’il y vit un début d’idylle. Ces mondes parallèles, soigneusement cloisonnés, se fracassent le temps d’une irruption de la famille à l’hôtel – et le retour ponctuel au village s’apparente, comme une fin de vacances, à un retour brutal à la réalité.