La Berlinale 2016 a été, d’un avis commun, d’une qualité inégale malgré quelques très bonnes surprises, et des films qui, dans la rigueur de leur sujet ou de leur ton, ont souvent su s’appuyer sur une mise à distance comique salutaire. Mené par Meryl Streep, le jury a donc choisi de sacrer le documentaire italien Fuocoammare, pour son regard croisé sur les migrants et la vie quotidienne italienne à Lampedusa. Parmi les films en compétition, on a pu voir le très réussi film de Jeff Nichols, Midnight Special, fuite familiale mystique lorgnant explicitement sur la science-fiction. Le Canadien Denis Côté décevait, avec un Boris sans Béatrice caricatural et sans finesse ; mais l’on a découvert avec bonheur Cartas da Guerra, du réalisateur portugais Ivo Ferreira – un film de guerre formaliste, décrivant, dans un noir et blanc impeccable, la correspondance passionnée mais sans issue d’un soldat et de sa fiancée restée en Europe. Death in Sarajevo, de l’habitué berlinois Danis Tanović (No Man’s Land, Eyes of War, La Femme du ferrailleur) adaptait de manière plutôt réussie la mauvaise pièce de BHL Hôtel Europe : au delà d’un script cherchant trop à faire le malin pour véritablement plaire – en jouant de manière trop appuyée sur le paradoxe d’une Europe autocélébrée pour ses valeurs mais socialement en lambeaux –, la mise en scène de Tanović tire son épingle du jeu en développant un rythme serré avec les tensions successives qui se nouent dans cet hôtel infernal. Enfin, Hedi, récompensé comme meilleur premier film et meilleur rôle principal, présentait en mode mineur et rigoureux l’émancipation affective d’un jeune Tunisien.
C’est du côté des sélections parallèles (Panorama et Forum) qu’il fallait chiner pour espérer débusquer une ou deux pépites. Passons sur le lamentable Dog Days, premier film sino-américain dont la mise en scène comme le script laissent pantois. Le film britannique The Ones Below, de David Farr se distinguait en revanche grâce à une atmosphère oppressante et un usage particulièrement habile de l’espace étriqué de la maison londonienne à double appartement: un jeu d’admiration, de haine et de crainte entre deux jeunes couples installés dans la même maison se noue autour de la naissance d’un enfant, et les effets de miroirs confèrent au film des relents hitchcockiens réjouissants. Le drame We Are Never Alone (Nikdy Nejsme Sami), de Petr Václav a brillé comme un petit bijou de noirceur, relevé d’une dose d’humour au vitriol. On connaît le réalisateur tchèque pour son portrait difficile d’une jeune Rom dans Zaneta (2014) ; son quatrième film prolonge le trait, en suivant plusieurs personnages d’une bourgade tchèque pris dans une situation misérable : un père terriblement hypocondriaque ; sa femme amoureuse d’un mac gipsy ; ce mac séducteur éconduit par une de ses danseuses ; la danseuse alcoolique et attendant son mari incarcéré ; et enfin deux enfants un peu perdus qui s’amusent à torturer des animaux. Cette triste farandole est menée avec beaucoup d’aisance sur un terrain tragicomique, et laisse espérer le meilleur de ce cinéaste montant. Eugène Green, sélectionné pour Le Fils de Joseph (avec Amalric et De Meideros), présentait une mise en scène baroque d’une radicalité rare, sacrée et assez étonnamment comique. Du côté du Forum, le Canadien Mark Lewis montrait Inventions, le déploiement cinématographique de son travail de vidéoaste-plasticien : plus d’une heure de tracking shots silencieux de Toronto, Paris et São Paolo, où la torsion de l’espace dévoile des images inédites, donne vie à des ombres portées retournées par la caméra, et permet, par une sortie de soi guidée par celle-ci, de porter un œil naïf et gourmand sur les formes de l’espace urbain. Au marché du film, enfin, on pouvait découvrir certaines propositions audacieuses en Réalité Virtuelle, comme Viens ! de Michel Reilhac, un court (12 minutes) érotique, danse nuptiale d’un sextuor de corps nus, ignorant, séduisant puis désirant le sujet-« spectacteur » dont on pressent les possibilités multiples.