Black Panther : Wakanda Forever contient en creux un aveu d’échec de la stratégie Marvel : il s’agit certes d’un film de franchise, mais qui fonctionne presque indépendamment du sacro-saint Marvel Cinematic Universe (MCU), sans caméo d’autres super-héros ni porosité avec le multivers. D’une certaine manière, il s’agit d’un vrai film, qui n’a pas à se mesurer aux enjeux de cinq autres volets pour raconter quelque chose. En écho à cette surprenante volonté de presque s’affranchir (du moins officieusement) du MCU, le film se passe même de scène post-générique (l’habituel cliffhanger promotionnel qui fait une partie de l’identité du studio), remplacée ici par un sobre « Black Panther will return », façon James Bond. Ainsi débarrassé, à quelques répliques embarrassantes près, du fonds de commerce de la machine Marvel, Black Panther : Wakanda Forever peut être apprécié comme un blockbuster honnête et simple, mais aussi, malheureusement, affligeant.
Car les « qualités » du film tiennent plutôt à l’absence de défauts récurrents, ainsi qu’à une certaine pudeur dans la manière de traiter la mort de Chadwick Boseman, acteur principal du premier Black Panther, qu’aucun cadavre numérique ne vient remplacer, contrairement à certaines figures de Star Wars ou autres Fast and Furious. Difficile, ceci dit, de trouver grand-chose de stimulant dans ce salmigondis nanardesque, où l’adversaire du Wakanda est désormais un homme-poisson volant d’origine amérindienne à la tête d’un empire sous-marin, qui veut tuer tous les habitants terrestres de la planète. Le sous-texte politique du film, vaguement décolonial, est à la fois appuyé et vide, de sorte à jouer sur plusieurs tableaux, l’opportunisme progressiste de Disney ne voulant au fond froisser personne. L’intrigue repose toujours sur ce pays africain imaginaire qu’est le Wakanda, État monarchique dont la capitale ressemble à Dubaï. Sous prétexte de protéger ses ressources naturelles uniques (le « vibranium », un métal aux propriétés magiques), l’objectif de cette nation en apparence utopique n’est au fond que de maintenir le statu quo et de freiner les ardeurs révolutionnaires (sanguinaires, cela va sans dire, pour justifier leur endiguement). On pourrait passer outre ces confusions idéologiques que le studio entretient sciemment, si seulement le film se montrait un tant soit peu convaincant sur le plan du spectacle. Raté : la pauvreté de la mise en scène s’explique en grande partie par l’utilisation systématique d’arrière-plans flous et la multiplication d’axes de caméra servant seulement à rythmer l’enchaînement de dialogues ridicules. Mais le plus difficile à digérer reste la laideur grisâtre et frigide des séquences aquatiques, qui souffrent grandement de la comparaison avec l’étincelante scène de nage d’Avatar 2 révélée à la fin du générique du premier volet, lors de sa ressortie en salle il y a quelques semaines.
On se demande s’il y a bien un metteur en scène derrière ce deuxième Black Panther, tant Ryan Coogler, face à un cahier des charges cadenassé, semble s’inscrire dans la logique d’effacement de l’auteur prônée par Disney. Si l’on cherche une singularité dans Wakanda Forever, il faudrait la trouver plutôt du côté des costumes, exagérément flamboyants, ou dans la bande originale. En lieu et place de la soupe orchestrale resservie à chaque production, des morceaux de hip-hop et de R’n’B viennent en effet habiller certaines séquences d’action, provoquant un décalage étrange, un certain mauvais goût et une overdose calorique que l’on retrouve habituellement plutôt dans le jeu vidéo (notamment dans Bayonetta, le burlesque et la maestria en plus). À ce titre, le seul événement de Wakanda Forever est sans doute la nouvelle chanson de Rihanna dévoilée dans le générique de fin. Vraie star du film, la chanteuse a même le droit à une vanne publicitaire typiquement marvelienne sur Fenty, sa marque de maquillage qui l’a rendue milliardaire. Le rêve hollywoodien se porte bien.