Vers la fin du film, Colette déclare à son mari Willy, qui publie ses romans sous son nom : « la vraie Claudine, c’est moi ». En mettant en avant le caractère autobiographique de son personnage, le film fait une lecture un peu rapide et accommodante (elle permet à l’écrivaine de revendiquer la maternité de son œuvre) du « Madame Bovary, c’est moi » prêté à Flaubert. Si Claudine représente le moi « authentique » de Colette, elle correspond également à son « moi idéal », ou plutôt celui de Willy, qui souhaite la façonner selon ses propres désirs. Cette dualité est formulée explicitement par Missy, la marquise de Belbeuf dont s’éprend Colette, qui lui explique qu’elle doit faire un choix entre Colette et Claudine, c’est-à-dire entre sa vraie personne et celle que Willy voudrait qu’elle soit. Claudine n’est pas seulement l’idéal de Willy, elle représente aussi un fantasme collectif. Toutes les jeunes filles rêvent de devenir Claudine : elles adoptent sa coupe de cheveux, sa tenue, ses gestes et ses mimiques. Cette armée de « fausses » Claudine permet d’injecter un soupçon d’horreur assez surprenant au regard du ton plutôt pleurnichard du film (les violons sortis à chaque scène un peu émouvante). On pense notamment à cette plongée assez glaçante sur une Claudine qui rit à gorge déployée et qui, à la faveur d’un son strident de violon, se transforme en une sorte de double monstrueux.
Un business nommé Claudine
Le « phénomène » Claudine, que l’on devine à travers cette foule d’admiratrices, ne semble par ailleurs pouvoir exister qu’au sein d’une société capitaliste. À travers l’emploi insistant d’un vocabulaire marchand, on perçoit une tentative un peu cynique de la part du film de s’inscrire dans l’air du temps. Willy se décrit ainsi comme un « entrepreneur littéraire » et souhaite, avant même l’invention du star-system, faire de Claudine une « vedette ». Parallèlement à la publication des romans, tout un marché de produits dérivés voit le jour, du parfum aux bonbons en passant par le paquet de cigarettes. La même logique est appliquée à l’œuvre elle-même, qui connaît des suites incessantes et se développe sur différents supports (ce qu’on désigne aujourd’hui sous le terme de « transmédia »). Furieuse contre Willy, qui vient de vendre les droits des Claudine, Colette lui reproche d’avoir considéré leur mariage comme un simple « business », dans lequel elle ne représenterait qu’un « bon investissement ». Cette scène d’adieux semble avoir été conçue comme un morceau de bravoure pour Keira Knightley, qui démontre son talent en faisant vibrer la colère de son personnage jusque dans le moindre recoin de son visage : ses traits se déforment, son regard devient noir, ses lèvres tremblent. Son jeu trouve cependant sa limite dans une certaine théâtralité, un lyrisme exacerbé qu’entretient la mise en scène à travers la musique dramatique et les gros plans en longue focale – des procédés trop apparents qui mettent le spectateur à distance.
Un biopic gender fluid
Si le film fait également écho aux discours contemporains sur le genre, c’est là encore de manière académique. Les contrechamps sur le visage de Colette dans la scène où un mime chante avec une voix de femme soulignent ostensiblement la fascination que ce spectacle hybride exerce sur elle. Son plaisir à passer d’un genre à l’autre se résume à un changement d’apparence un peu réducteur : elle troque ainsi sa longue chevelure contre une coupe au carré et sa robe d’écolière contre un costume d’homme. À travers ces métamorphoses, on sent l’influence de l’androgyne Missy, que Colette prend bien soin de désigner par le pronom « il », tandis que Willy persiste à dire « elle ». Pour lui, « les mots sont masculins ou féminins » et « il n’y a pas de mots » pour désigner Missy, qui échappe à toute catégorie. La mise en scène des inégalités de genre entre Willy et Colette est assez schématique : il se tient généralement debout en pleine lumière, entouré de gens, alors qu’elle se trouve assise dans l’ombre, en marge. Il en va de même pour le plan des escaliers, dans lequel Willy suit une trajectoire ascendante tandis que Colette est écrasée par une plongée zénithale, ou celui où elle apparaît dans un reflet, la tête baissée, à côté de lui. Ces métaphores pesantes nous rappellent une fois de plus qu’un film ne saurait être révolutionnaire par son seul sujet : il l’est avant tout par sa forme. Sur ce point, Colette est loin d’être aussi créatif et avant-gardiste que son personnage.