Il aura donc fallu attendre 2015 et un rôle à performance pour que la divine Julianne Moore gagne enfin l’Oscar de la meilleure actrice, elle qui s’était déjà distinguée quelques mois plus tôt en remportant le Prix d’interprétation féminine à Cannes pour sa composition déjantée dans Maps to the Stars de David Cronenberg. Ce prix constitue à peu près le principal argument marketing de Still Alice, tant le couple de réalisateurs – Richard Glatzer et Wash Westmoreland – reste peu connu chez nous et le sujet du film – la maladie d’Alzheimer – peu enclin à séduire les foules de spectateurs. Il est à peu près certain que le projet, adapté du livre éponyme de Lisa Genova, est investi d’une mission d’utilité publique dont l’objectif serait de sensibiliser les spectateurs au fléau. Le décès prématuré de Richard Glatzer le 10 mars dernier dû à la maladie de Charcot éclaire aussi sur les motivations qui ont très certainement nourri le désir des deux réalisateurs de traduire l’impuissance ressentie face à la lente et irréversible dégradation des capacités cérébrales de la personne atteinte. Et c’est probablement la sincérité de la démarche qui maintient le film à flots alors que l’écriture de Still Alice est souvent fragilisée par un volontarisme un peu trop démonstratif.
Progression narrative
Alice est une brillante professeur d’université spécialisée dans la linguistique à qui tout semble sourire. Reconnue dans son domaine professionnel, mariée à un homme qu’elle aime encore, mère de trois enfants qui ont déjà plutôt réussi dans la vie, la sportive et resplendissante quinquagénaire n’imagine pas un seul instant que ses capacités intellectuelles puissent un jour lui faire défaut. La sentence est donc terrible lorsqu’elle apprend, à la suite d’examens motivés par des absences répétées, qu’elle est victime d’un Alzheimer précoce. Tout l’enjeu pour cette femme encore dans la fleur de l’âge sera alors de contrer la fatalité : à coup de jeux mnémotechniques et de prises de notes sur son téléphone portable, Alice va s’efforcer de mettre constamment à l’épreuve sa mémoire pour l’entraîner à ne plus oublier. C’est probablement dans ce bras de fer que le propos trouve ses limites puisqu’il contraint logiquement à recenser les étapes de la progression de la maladie comme autant de passages obligés sur le plan scénaristique : la première fois qu’Alice perdra un mot, la première fois qu’elle ne retrouvera plus une pièce dans sa maison, la première fois qu’elle ne reconnaîtra plus sa fille, etc. La limite de l’exposé atteint probablement son paroxysme lorsque l’universitaire intervient dans le cadre d’une conférence sur sa maladie pour témoigner de l’épreuve traversée, les contrechamps sur le public bouleversé ne laissant que peu d’ambiguïtés sur le potentiel lacrymal d’un film « basé sur des faits réels ». Enfin, on pense à cet effet de suspense malvenu lorsque se pose pour Alice la question du suicide afin de se libérer de l’humiliation que lui impose la maladie.
Les portes du souvenir
Qu’est-ce qui fait que Still Alice ne sombre alors pas totalement dans les tréfonds du film à thèse ? Cela tient en partie à la qualité irréprochable du casting (Julianne Moore et Alec Baldwin en tête) qui ne cabotine à aucun moment pour traduire le désarroi du couple prenant conscience de ce qui les tiendra de plus en plus éloignés l’un de l’autre. Il faut dire qu’en dehors des aspects purement médicaux, le film bénéficie d’une qualité d’écriture dans sa manière de dépeindre les relations familiales (le lien avec chaque enfant, le personnage interprété par Kristen Stewart étant le plus développé), laissant éclore, entre diverses expressions d’amour et de soutiens, les possibles rancunes et la lourde culpabilité induites par l’identification de cette maladie génétique au sein du groupe. Mais surtout, au travers des ravages causés par la maladie d’Alzheimer, les réalisateurs parviennent à évoquer avec une empathie sincère ce qui constitue l’individualité d’Alice : son savoir, ses sentiments, ses souvenirs (avec son lot de fantômes qui n’existent que dans sa mémoire), autant de composantes qui se désagrègent au fil des mois et qui privent le personnage de son histoire et de son identité. C’est dans cet ailleurs suggéré et soutenu par des effets de mise en scène plutôt discrets qu’il se passe finalement quelque chose de troublant : on passe au-dessus de cette volonté un peu pesante de bien vouloir faire pour s’abandonner à l’indestructible humanité du personnage. À ce niveau, il fait peu de doute que Still Alice doit beaucoup à l’intelligence de jeu de Julianne Moore.